L'article de Paul Grimwood relatif à l'augmentation
dramatique des décès en interventions incendie,
au sein du Services Incendies du Royaume Uni, soulève entre
autre le problème de l'incompréhension globale concernant
les débits. Lors des formations nous constatons que ce
point pose problème. En effet, tout se fait presque en
petit débit, mais tout se fait avec une lance qui peut
donner du gros débit. Cela peut paraître étonnant
et il est donc tentant de n'utiliser que des lances petits débits.
C'est une énorme erreur, comme nous allons le voir dans
cet article.
Des zones de feu
Dans un feu en extérieur, seul le combustible solide (bois,
papier...) pose problème. Dans ce contexte, l'émission
de chaleur d'un feu, qui se fait principalement par le haut (convection,
environ 70%) n'a pas d'impact sur les intervenants. Les fumées,
fortement combustibles, ne sont pas piégées et s'échappent.
Dans un feu de structure, donc dans une habitation, les choses
sont différentes. La présence du plafond va piéger
les fumées. Celles-ci, chaudes, vont également subir
la différences de pression entre les zones chaudes et les
zones froides et vont se déplacer. Le sapeur-pompier va
ainsi se trouver confronté à plusieurs problèmes:
- Eteindre le foyer, donc par exemple le canapé en feu
- Passer dans des zones de danger, pour atteindre ce foyer
«solide»
Or ces zones de danger sont des zones avec un combustible gazeux
(la fumée) qui se déplace, prend feu assez facilement
et propage les fronts de flammes de façon violente et quasi-instantanée.
En fait, alors qu'en extérieur, il n'y a qu'une «classe»
de feu (solide), le feu de local est un feu bi-classe: gazeux
et solide.
Refroidir puis éteindre
Face à un feu «solide», l'objectif est d'éteindre.
C'est l'action classique. Mais dans la progression vers ce foyer
solide, dans un feu de local, il faudra refroidir les fumées
donc les gaz. Nous aurons alors un simple refroidissement, puis
une extinction. Nous n'éteignons pas les fumées
chaudes: nous les refroidissons. Mais rendu face au canapé,
nous éteignons celui-ci.
Les fumées sont impalpables. L'eau, envoyée avec
force, va les traverser, heurter les parois, produire de la vapeur
et l'expansion de celle-ci va repousser les fumées sur
les intervenants, donc les brûler. Pour refroidir les fumées
et avancer avec le plus de sécurité possible, il
faut réussir à suspendre un brouillard d'eau, en l'air,
sans toucher les parois. Or, pour des raisons physiques mais aussi
des raisons de matériel, ceci ne peut se faire qu'avec
un petit débit.
Il est a noter que sur certains secteurs, l'usage de caissons
«flashover» avec exutoire, fausse ce raisonnement
puisque la vapeur s'échappe dés que l'on ouvre l'exutoire.
Ce n'est donc qu'une fois face à un vrai feu, dans une
pièce sans exutoire, que le sapeur-pompier se rendra compte
de son erreur.
Sur les lances actuelles, le diamètre des gouttes varie
suivant le débit (voir les essais des lances POK Debikador par exemple). Plus le débit
augmente, plus les gouttes sont grosses donc lourdes, et restent
peu de temps en l'air, ce qui n'est pas efficace. En plus, envoyer
de l'eau a pour objectif de transformer celle-ci en vapeur pour
absorber de la chaleur et donc refroidir les fumées. Mais
si nous envoyons trop d'eau, nous générons un trop
grand volume de vapeur, ce qui n'est pas bon. En clair, pour refroidir
les fumées, il faut du petit débit (de l'ordre de
100 à 150 lpm) en petites impulsions, sans toucher les
parois (Méthode 3D, voir article sur la progression).
Rendu face au foyer solide, il y a deux solutions: soit le local
est ventilé, soit il ne l'est pas. S'il l'est, il est possible
d'éteindre rapidement, sans avoir de souci à se
faire avec la vapeur que l'on va générer. La solution
de l'attaque combinée (ZOT, voir article attaque combinée) est
acceptable. Elle se pratique à gros débit (de l'ordre
de 400 à 500lpm). Si le local est mal ou pas ventilé,
il faudra travailler en petit débit, avec des petits coups
de lance dans les fumées (pulsing) afin de refroidir l'atmosphère
et travailler confortablement, alternés avec des petits
coups de lance en jet droit, sur le foyer (voir article Attaque pulsing-penciling). Là, tout
se fait en petit débit. L'objectif étant alors d'éteindre
et d'empêcher la reprise, tout en ayant un jet assez pénétrant
pour passer au travers du rayonnement émis par le feu.
Additifs Class A et jet baton
L'usage des additifs de class A (type Sylvex par exemple) ne change
rien au problème bien au contraire. Dans toutes les interventions
étudiées (voir document sur l'approche tactique),
sans exception, les accidents se sont produits avant d'atteindre
le combustible solide. C'est donc le trajet qui est dangereux,
pas l'attaque. Or les systèmes d'additifs alourdissent
les gouttes d'eau et le résultat semble moins efficace
sur les fumées (Etude du NIST sur l'impact des additifs
sur les gouttes d'eau). Paradoxalement, ces systèmes vont
donner un meilleur résultat sur l'élément
solide, donc sur le moins dangereux, mais vont diminuer l'efficacité
sur la zone de trajet (la plus dangereuse). Il n'en reste pas
moins que le refroidissement des fumées, en pulvérisé
petit débit avec additif, sera toujours préférable
à une tentative de pénétration dans une structure,
sans refroidissement, et que l'usage d'un additif permettra d'éviter
plus facilement le risque de reprise.
Quand au jet bâton, il est encore conseillé dans
certains pays sous prétexte que le jet diffusé génère
trop de vapeur. C'est vrai si le jet diffusé est mal utilisé:
avec un jet continue, en gros débit, avec un angle assez
étroit, dans les fumées, les parois du local seront
percutées et il y aura effectivement beaucoup de vapeur.
Mais tous les stagiaires qui ont travaillé en caisson l'on
constaté: un coup de lance un tout petit peu trop long,
trop fermé ou mal dirigé, refroidit bien, mais provoque
un petit coup de vapeur. Bien réglé, bien placé,
le même jet ne produit plus que du refroidissement, donc
sans ce coup de vapeur. Le problème étant que ce
n'est pas en essayant une fois, sans être persuadé
du principe, que l'on obtient un bon résultat!
Les zones de feu dans un local
1 - la zone solide
2 - la colonne de flamme, renouvelée en permanence, générée
par la zone 1
3 - les gaz chauds (avec parfois des flammes)
4 - les objets soumis à la chaleur, qui pyrolysent et
vont prochainement prendre feu
A - zone d'approche (refroidissement des zones 3 et 4)
B - zone à partir de laquelle l'attaque de la zone 1 sera
réalisée |
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Quand au passage de porte (voir article sur cette méthode),
il se pratique également à petit débit.
De tout cela, nous pouvons déduire qu'un petit débit
est suffisant: nous nous en servons pour passer la porte, pour
progresser et nous pouvons également attaquer avec un tel
débit. Mais tout ceci ne part que d'une supposition: tout
va bien.
Une question de mentalité
Dans le secteur du secours à personne (ambulance) c'est
toujours le pire qui est envisagé: nous plaçons
des attelles, des colliers cervicaux, nous brancardons avec grand
soin alors même qu'il n'y a sans doute rien de critique.
Paradoxalement, en incendie, la mentalité change et le
fonctionnement général se base sur le principe que
de toutes façons, tout ira bien. Le sapeur-pompier se permet
d'émettre des avis défavorables sur l'ouverture
de bars, restaurants, cinémas, etc... qui ne respecteraient
pas les consignes de sécurité. Mais lors des interventions
incendies, les équipes se munissent souvent d'un matériel
réduit, sous prétexte que « c'est suffisant
».
En fait, en se munissant d'un matériel qui ne permet de
gérer que des conditions idéales, le sapeur-pompier
se met dans la même situation qu'un directeur de cinéma
qui dirait «nous ne mettons pas d'issue de secours car
nous n'avons jamais d'incendie dans notre cinéma».
Petit débit utilisé, mais gros débit
disponible
Nous le lisons depuis longtemps dans de nombreuses études:
s'il est possible de faire beaucoup avec un petit débit,
lorsque celui-ci s'avère insuffisant, nous ne pouvons plus
rien faire du tout.
Ainsi, face à un front de flamme qui se déplace
dans une zone gazeuse, vers les intervenants, seul un gros débit
pourra assurer la survie du personnel. De même, si la situation
empire d'un coup (ce qui est assez fréquent dans les feux
de structure), les sapeurs-pompiers ne pourront lutter qu'en augmentant
le débit. En se munissant d'un matériel «
petit débit », les intervenants ne disposent pas
de réserve. Or, le sapeur-pompier doit être un gestionnaire
des risques, doit se préparer à toutes les situations,
et envisager les cas de fortes dégradations.
L'accident de Bully-Les-Mines (Pas-de-Calais, France, Mars
2006) dans lequel a été impliquée une des
membres du site flashover.fr démontre de façon flagrante
que les situations apparemment banales peuvent évoluer
en quelques secondes vers un véritable enfer et que seuls
des moyens importants peuvent alors permettre de survivre (car
à ce stade, c'est bien de survie dont il est question!).
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Progression de la puissance thermique du feu
de Bully-Les-Mines. Les tracés rouges indiquent la puissance
thermique absorbable par une lance, en fonction du débit,
avec un rendement de 70%. Ne pouvant fuir, les deux sapeurs-pompiers
se sont protégés avec leur lance avec un débit
de 500lpm. Ils n'ont été que légèrement
brûlés aux mains (gants de cuir). Il est évident
qu'ils doivent leur survie à ce gros débit et quand
le cas d'une utilisation de moyens hydrauliques plus faibles,
l'issue aurait été fatale. |
La pression: une illusion
Sur certains secteurs, l'usage de lances soi-disant « haute
pression » donne une illusion de sécurité.
Les véritables lances haute pression ont été
inventées dans les années 1950 afin de produire
des jets pulvérisés à grande portée,
pour des attaques menées de l'extérieur, destinées
à produire beaucoup de vapeur (attaque indirecte). Dans
le cas des attaques intérieures, ces lances s'avèrent
incapables d'assurer la sécurité du personnel, car
la pression n'a pas d'influence sur l'absorption thermique. Le
point clef, c'est le débit. D'ailleurs si les lances haute
pression on été massivement utilisées aux
USA après la seconde guerre mondiale, leur usage a complètement
disparu dés les années 1970 / 1980 au profit des
lances gros débit sur tuyaux souples, seules aptes a assurer
la sécurité du personnel dans le cadre des attaques
intérieures.
La roulette Russe
Utiliser une lance limitée en débit (type LDT Française,
Booster Line Brittanique, HP Belge...) c'est jouer en permanence
à la roulette russe. Saisir cette lance pour un feu de
local, même insignifiant, revient à prendre un revolver,
à se le mettre sur la tempe et à presser la détente.
Avec une particularité: à chaque fois que sur votre
secteur d'intervention, une personne renforce ces fenêtres,
achète des éléments mobiliers combustibles,
ou isole sa maison, elle ajoute une cartouche dans le barillet
de votre revolver...