Depuis plusieurs mois, nous travaillons sur l'implantation de casernes
de sapeurs-pompiers au Brésil. Loin de nous écarter de la problématique des
feux de locaux, ce travail nous a permis de prendre du recul et d'analyser
de façon plus sereine ce qui a été réalisé en Europe depuis plusieurs
années. Et de faire des constats étonnants...
Un manque d'approche globale
Dans les années 80, suite à quelques accidents survenus dans leur pays,
les Suédois ont commencé à étudier l'inflammation des fumées en utilisant
des containers. Pour la première fois, un outil était créé qui permettait
de faire de "vrais feux" et d'observer ce qui se passait, avec un niveau
de sécurité assez bon.
Rapidement, ce type d'outil a remporté un franc succès et ce pour deux
raisons: en premier, il semblait apporter la réponse aux questions et en
second, il valorisait les formateurs qui l'utilisait, du fait qu'il
permettait de jouer avec le feu donc avec le coeur de métier.
Le caisson et tout ce qui gravite autour, permet donc de répondre à une
question.... que personne n'avait jamais posé. Cette question c'est "Pourquoi
les maisons partent-elles en fumée et pourquoi avons-nous des morts au
feu?" Or, cette question, nous nous la posons depuis que nous
avons des caissons. Mais avant, personne ne se la posait. Nous avons donc
un premier élément: l'étude des phénomènes se justifie par sa capacité à
répondre à une question qui en fin de compte n'a pas été posée. Si l'on
prend les USA, les morts au feu y sont considérés comme un événement
"normal" et la destruction complète des maisons également. Et nous voyons
bien que l'étude approfondie des phénomènes thermique ne les intéresse
pas!
Si au départ les caissons étaient seulement là pour y mettre du bois et
donner 3 coups de lances, il s'est vite avéré que ce que l'on pouvait
faire avec, dans le cadre d'un apprentissage opérationnel, était limité.
Le caisson a l'avantage de démontrer que les fumées s'enflamment donc
qu'il faut s'en méfier non plus seulement comme agent polluant mais
également comme élément combustible et il permet aussi de manipuler la
lance pour que le stagiaire se rende compte que des impulsions suffisent
pour repousser les flammes et refroidir les fumées.
Mais si l'on considère les besoins en opérations, avec ces deux points,
nous avons fait le tour de tout ce qu'il faut savoir. Et c'est peu. ..
A partir de là, il y avait trois options: la première consistait à se
contenter de cela et rien d'autre. La seconde consistait à remettre ce
caisson dans le contexte général de l'intervention, d'analyser si cet
apprentissage suffisait pour obtenir de meilleurs résultats et en cas de
réponse négative, d'ouvrir le champ des connaissances à acquérir. La
troisième option consistait non pas à étendre le champ des connaissances,
mais à rester sur une zone de compétences limitée, tout en creusant donc
en cherchant de plus en plus dans cette zone.
Pour comparer avec du secourisme, nous avions là un outil capable
d'expliquer le massage cardiaque. On pouvait s'en contenter et se rendre
compte qu'il fallait aussi apprendre à arrêter les hémorragies, ou bien
continuer seulement sur la RCP et prendre des cours de cardiologie.
C'est cette dernière option qui a été choisie. Pourquoi?
Le nez dans le guidon
Lorsque nous sommes face à un problème, il y a deux manière de réagir. La
première consiste à regarder ce que l'on sait faire, ce que l'on possède
déjà et à tenter coûte que coûte de s'en servir pour répondre. La seconde
méthode consiste à chercher de nouveaux outils, nouveaux concepts, en se
disant que ce que l'on sait n'est de toutes façons pas adapté.
Lorsque l'on regarde ce qui s'est passé depuis une quinzaine d'année sur
les phénomènes thermique, nous constatons une "scientifisation" totale du
propos. Logique. Comment se présenter comme "spécialiste" en disant "c'est
facile, je vais vous expliquer tout en 2 heures"? Il faut mettre
des équations, des termes ronflants et surtout, répondre souvent que "c'est
plus compliqué que ça". On forme donc une petite élite, qui se
met à travailler en circuit fermé.
Cette approche n'est pas sans rappeler celle du secourisme dans les années
60/70. Les médecins s'érigeaient en grands connaisseurs et imaginer un
instant que l'on pouvait sauver des gens sans avoir fait quelques années
d'université était pris pour une vaste blague.
Cette approche par des "experts" posent pourtant deux problèmes majeurs.
Le premier c'est que si nous acceptons l'avis d'un soit disant expert en
incendie, qui prétend qu'il faut plusieurs jours voir semaines de
formation pour atteindre le niveau correct, il faut être assez intelligent
pour admettre qu'il doit bien avoir un expert en secours routier qui pense
la même chose pour la désincarcération. Et un expert en secours en
hauteur, qui pense aussi que 2 ou 3 semaines de Lot de Sauvetage seraient
bien nécessaires. Sachant que les feux ne représentent qu'environ 15% des
interventions et que les feux de structure nécessitant des compétences
spécifiques doivent représenter seulement 4 à 5% des interventions, cela
signifie que s'il faut augmenter la durée totale de formation de 2
semaines pour traiter de ces 5% d'interventions, chaque "expert" va
demander la même chose dans son domaine et nous allons donc devoir
augmenter la durée totale de formation de (2/5)*100 = 40 semaines...
A titre d'anecdote, au Brésil le principe de la formation de masse en
secourisme n'est pas admise. Il l'est par les médecins et par les
formateurs de notre association (ANSB-Association Nationale dos
Sapadores-Bombeiros) mais absolument pas par le SAMU ou les "secouristes
professionels". Le résultat c'est qu'un cours de secourisme dure ici
environ 300 heures avec des informations médicales totalement inutiles et
que le niveau général des secours sur le pays est catastrophique.
Le second problème concerne le mode de fonctionnement des secours. Sachant
qu'une victime sans secours meure en quelques minutes et qu'une maison en
feu est détruite tout aussi rapidement, l'ennemi des sapeurs-pompier n'est
pas le feu, l'explosion, l'hémorragie ou l'arrêt cardiaque: son ennemi,
c'est le temps. Or, à moins d'inventer des ambulances qui se
télé-transportent ou des fourgons incendie à réaction, la seule solution
que l'on ait trouvé consiste à mettre plein de casernes, proches les unes
des autres. La superficie du territoire qu'il est possible de couvrir est
donc fonction du temps de déplacement et absolument pas de la population
présente sur ce territoire. Si sur ce territoire se trouvent plusieurs
centaines de milliers de personnes, le nombre d'accidents va être
important. Nous aurons donc une fréquence d'interventions assez
importante, justifiant ainsi la présence permanente du personnel. Nous
avons ainsi le concept de caserne avec des "pro". Mais plus nous allons
sur des territoires à moindre population, plus le nombre d'interventions
diminue et plus il devient évident que la collectivité ne peut plus
supporter le coût du personnel salarié qui ne ferait qu'attendre un
hypothétique appel. Nous obtenons donc le concept de "volontaires". Or, la
superficie des pays et la répartition de population montre une constante:
le rapport entre le personnel "à temps plein" et le personnel "à temps
partiel" est de l'ordre de 2 pour 10, voir 1 pour 10.
Nous avons donc, suivant les pays, entre 80 et 90% de "volontaires" qui,
s'ils ont du temps à donner à la collectivité, n'ont quand même pas trop
de temps "à perdre". Et plus nous allons sur des territoires ruraux, plus
nous nous approchons d'une population à faible niveau d'étude.
Le fait d'apporter une réponse longue et scientifique à la problématique
des feux de locaux est donc en contradiction avec le principe même des
secours, tout comme l'ajout de compétences médicales aux cours de
secourisme s'est avéré contre productif. Mais pour s'en rendre compte, il
faut tenter de former ces 80% de volontaires pour comprendre le fossé qui
existe.
Le turn-over
L'autre élément qui n'est pas pris en compte, c'est le turn-over,
c'est-à-dire la proportion de sapeurs-pompiers qui entrent et sortent
chaque année. En France il est estimé à une valeur minima de 15% voir 20%.
Il est toujours possible de chercher à lutter contre ce turn-over, mais
c'est délicat. Nous voyageons de plus en plus et autant il y a un siècle
on naissait, on se mariait, on avait des enfants et on mourrait dans le
même village, autant aujourd'hui pratiquement plus personne n'a la
totalité de sa famille proche de chez lui. S'il faut trouver des solutions
pour diminuer ce turn-over, il faut aussi chercher des solutions pour
limiter les problèmes qu'il génère.
Il y a quelques mois, je discutais avec un ami qui possède un restaurant à
Brasilia. Il se plaignait du turn-over, ses serveurs restant très peu de
temps à son service. Ceci lui posait problème car il devait les former et
à peine formés, ils partaient. Il leur donnait pourtant un bon salaire,
mais cela ne changeait rien. La conclusion était donc que retenir les gens
n'était pas possible. Or le problème, après analyse, n'est pas que le
serveur reste peu de temps. Le problème c'est que sur son temps de
présence au sein de l'entreprise, son temps de formation occupe une
proportion trop grande. Si un employé reste 15 ans et qu'il faut 2 ans
pour le former, ça va. Mais s'il reste 2 ans et qu'il faut 2
ans pour le former, ça ne va pas car il ne sera jamais productif. Plus il
y a de turn-over plus il faut tenter de le diminuer, mais plus il faut
également chercher à en diminuer l'impact. En terme de formation, il faut
donc compresser celle-ci, afin qu'elle n'occupe qu'un temps minime.
Alors que les "experts" voudraient ajouter des formations et allonger
celles qui existent, la réalité nous impose au contraire de diminuer le
temps de formation pour avoir le plus rapidement possible du personnel
opérationnel, sachant que ce personnel ne restera pas.
Si nous regardons l'historique de flashover.fr nous constatons qu'il ne
reste quasiment plus aucun membre du début. Il reste des "pro" et des
"volontaires passionnés" mais le turnover observé ici est identique à
celui observé en caserne. Un site comme "forum-pompier" observe la même
chose et la fermeture des nombreux blogs sur les feux de locaux participe
de la même logique.
Si nous observons l'approche "caisson" nous constatons qu'elle a
rapidement évité de s'occuper de ce problème. Compte tenu du prix d'un
caisson, il était possible d'en mettre dans un grand nombre de casernes,
en formant des formateurs "non scientifique" mais plutôt "de terrain" donc
en faisant de cette formation une formation "de tronc commun", nécessitant
le même niveau de compréhension que le Lot de Sauvetage. Pas plus.
Au contraire, l'approche qui a été choisit est celle de "spécialistes", de
petits groupes d'experts qui gardent jalousement la main sur leur jouet.
Sauf que si nous prenons un service incendie départemental Français
composé de 2000 sapeurs-pompiers que l'on souhaite tous faire passer au
caisson, sachant qu'un brulage de qualité ne se fait qu'avec 6 stagiaires,
il faut faire 2000/6 = 333 brulages... Et comme les volontaires sont
principalement disponibles le samedi, nous ne disposons que de 52 samedi
dans l'année...
Certains services affichent un grand optimisme en affirmant qu'ils auront
formé tout le monde par exemple en 4 ans. Mais c'est oublier un peu vite
le fameux turn-over: si nous avons 2000 sapeurs-pompiers et que la
première année, nous en formons 500, cela ne veut pas dire qu'il en
restera 1500 à former. Car sur les 500 formés la première année, 20% vont
partir et vont être remplacé. Et 20% c'est 100 personnes! En fin de
première année, il restera donc 1600 personnes à former car sur les 500
formés, 100 seront partis. A la fin de la second année, il en restera 1600
- 500 = 1100 auquel nous ajouterons notre turn over donc 100 de plus, soit
un total de 1200, etc... Il faudra donc plus de temps que prévu, sachant
en plus qu'avec cette hypothèse de travail chaque sapeur-pompier ne passe
au caisson qu'une fois tous les 5 ou 6 ans, alors que la durée moyenne
d'engagement ne dépasse pas 5 ans...
Là encore, l'approche "haute compétence" et "formation longue" est en
inadéquation avec la réalité car cette réalité demande une approche "de
masse".
Conclusion
Cette petite analyse tend à montrer que le principe même de formation qui
est généralement adoptée, ne donnera et d'ailleurs ne donne pas de bons
résultats du fait de son inadaptation aux conditions humaines de gestion
des secours. Dans un prochain article, nous analyserons quelques accidents
afin de découvrir qu'en plus, le contenu de la formation, centré sur
l'étude des phénomènes, n'apporte pas de résultats concluants. Nous
essayerons alors de voir d'autres pistes de travail.