Il est toujours difficile d'écrire un article prévu
pour être dans une série, lorsqu'un temps
très long s'est écoulé depuis
l'article précédent. Soit le travail n'a
guère évolué et dans ce cas il suffit de
poursuivre, tranquillement, mais ce n'est pas le signe
d'une grande vigueur dans les recherches, soit le travail a
fortement évolué et ce nouvel article pourra
apparaître comme très éloigné des
considérations des premiers. C'est ce qui va se passer
ici?
Dans les deux précédents articles, nous avons
traité du problème de la fiche bilan incendie, qui a
priori n'existe pas sous une forme réellement utilisable
par le premier engin se présentant sur les lieux. Suite au
deuxième article, nous avons donc commencé à
travailler sur la mise en forme d'une telle fiche bilan.
Pour cela nous avons essayé de lister les différents
éléments nécessaires et, pour chaque
élément, nous avons tenté de définir les
valeurs possibles. Ainsi, si nous reprenons l'exemple du
secourisme, nous avons bien le paramètre «pouls» et
en face, une valeur numérique.
Nous nous sommes imaginé face à une habitation, en
cherchant à la définir. Le paramètre de
«contact» de l'habitation à une autre, est un
élément à prendre en compte, tout comme le
paramètre de position du feu, par rapport au nombre
d'étages. Prenons ces deux paramètres comme exemple.
Rapidement, alors nous étions en train de détailler ces
paramètres, nous nous sommes rendu compte que leur nombre
était assez réduit. Mais surtout, nous nous sommes rendu
compte que chaque paramètre ne pouvait prendre qu'un
nombre réduit de valeurs. En fait, avant de chercher, nous
pensions devoir faire face à un nombre de
«possibles» très important. Mais le fait de devoir
faire une liste, par écrit, a révélé tout
autre chose.
Prenons l'exemple du «contact» de la structure avec une autre.
Soit la maison est «accolée» soit elle ne
l'est pas. Le fait qu'elle soit accolée à
droite ou à gauche, ne change pas grand chose. Et le fait
qu'elle soit accolée à droite ET à gauche,
n'est que le doublement de cette valeur
«accolée». Nous n'aurions donc que deux cases
à cocher : accolée droite, accolée gauche.
Si nous prenons la position du feu en fonction de l'étage, nous avons
tout aussi peu de valeurs possibles. Regardons le schéma ci-contre.
Soit le feu est de plain-pied (cas 1), donc nous pouvons l'attaquer de
l'extérieur avec des moyens terrestres, soit il est en étage et
demandera soit des moyens aériens, soit de passer par l'escalier. Mais
qu'il soit au premier ou au second étage (cas 2 ou 3), peut importe :
de toute façon, envoyer de l'eau pas la fenêtre à partir de la rue
s'apparente à du «grand n'importe quoi». |
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Au niveau de la propagation, en fonction des étages, le nombre de
valeurs reste tout aussi fiable. Si l'immeuble a 8 étages et que le feu
est au 3éme, au 4éme etc? Peu importe : il y a risque de propagation
vers le haut, vers des étages avec des victimes potentielles. Par
contre si le feu est au dernier étage, la propagation vers le haut ne
fera que percer le toit. Et le problème des victimes piégées au-dessus
du feu, ne se posera donc pas.
En clair, il n'y a que trois cas :
- Feu au RdC (cas 1)
- Feu au dernier étage ou dans le toit (cas 4)
- Feu aux autres étages (cas 2 ou 3)
«Ce n'est pas toujours comme ça?»
Bien évidemment nous entendons toujours la même rengaine,
à savoir que «c'est pas toujours pareil». Sauf
que lorsque l'on commence à lister, et non pas à
écrire sur un forum ou à en parler, les choses sont
différentes. On se pose, on s'assoit tranquillement et on
écrit. Nous constatons alors que les différences entre
les feux restent quand même assez minimes.
Bien évidemment, il existe des exceptions, mais justement, ce
sont des exceptions. Nous devons donc nous poser la question du temps
passé à gérer le «tronc commun» et du
temps passé à gérer les «exceptions»
avec cette remarque : la mise en ?uvre d'un système
permettant de gérer des exceptions n'est-elle pas la cause
de la mauvaise gestion des cas «habituels» dont la gestion
de trouve engluée dans tout un tas de paramètres
prévus «au cas ou» et qui ne font que
pénaliser l'analyse de base. En clair,
pour «faire marcher» l'exception (et sans preuve que
cela soit d'ailleurs le cas), ne serions nous pas en train
de «faire échouer» un grand nombre de cas
«habituels»?
Une analyse des feux, telle que celle qui avait été réalisée dans le document «
Approche Tactique des Feux de Locaux»,
à montré une étonnante similitude dans les
accidents. Nous concluons assez vite que face à des descriptifs
de feux, nous avons deux attitudes possibles : soit nous cherchons
systématiquement les différences et tous les feux nous
sembleront totalement différents. Mais dans ce cas, nous ne
pourrons jamais mettre en place de raisonnement tactique fiable.
L'autre solution consiste à regarder les points communs.
Nous en trouverons et nous pourrons alors définir des actions
tactiques, pour ces points communs. Et les «exceptions» me
direz-vous ? N'ayez crainte, nous ne les oublierons pas !
La notion des similitudes
Employée dans la gestion des feux d'avions par exemple, la
notion de similitude des feux paraît assez étonnante. Elle
vise en fait à considérer non pas les différences
entre les feux, mais les similitudes. Nous verrons plus tard
l'intérêt réel de cette méthode, mais
pour l'instant nous devons la préciser.
Pour cela, imaginons 100 feux, sachant que nous considérons ces
feux comme étant des feux d'habitations de type
appartement ou maisons individuelles. En analysant ces 100 feux nous
allons trouver des points communs et des points différents. Ce
que nous allons vite constater c'est que nous n'avons pas
80 feux strictement identiques et 20 feux différents. Nous avons
plutôt 100 feux dont 80% des paramètres utilisables sont
communs.
Cela signifie donc qu'à 80% nos interventions sont
identiques et qu'il n'y a en fait que 20% de
différence. Et à y regarder de plus prés, cela se
vérifie : à chaque intervention l'équipe
déroule des tuyaux, alimente l'engin, met les ARI
etc? Si les interventions étaient réellement et
totalement différentes, il n'y aurait pas d'actions
communes. Ou bien dans ce cas, si les feux étaient
totalement différents mais que nous y appliquions des actions
communes, c'est que ces différences n'auraient en
fin de compte, pas d'importance.
Si nous nous trouvons face à un feu de palette, nous
établissons une lance «classique». Si c'est un
feu d'hydrocarbure, nous établissons une «lance
à mousse». Nous avons bien là deux feux
différents et donc deux actions différentes. Par contre,
si nous avons un feu de carton et un feu de palette, dans les deux cas
nous établissons la même lance. Nous pouvons donc dire
«ce sont deux feux différents», ce qui est exact.
Mais en fin de compte, cette différence n'a pas
d'importance puisque l'action que nous réalisons est
la même.
Si le chef d'agrès, donc celui qui va devoir
définir une «tactique», commence à
considérer le feu de carton comme totalement différent du
feu de palette, il est évident que son raisonnement va
inutilement et rapidement se compliquer.
Nous verrons prochainement, que cette notion des 80% de similitude nous
donnera une bonne partie des solutions, mais qu'elle ne donne pas
une solution «toujours fiable».
La notion de temps linéaire
Lors d'une intervention, nous constatons qu'il existe deux notions de temps, distinctes.
La première c'est celle d'un temps, linéaire,
une sorte de chronomètre qui démarre à
l'arrêt du camion devant le lieu de l'intervention,
et qui s'arrête lorsque le feu est éteint. Ce que
nous constatons c'est que cette durée est au maximum de 10
à 12 minutes. En clair, si en 10 à 12 minutes le feu
n'est pas totalement éteint, il y a fort à craindre
que la partie soit perdue. L'équipe se fait
déborder, elle n'a pas choisi le bon emplacement, pas les
bons moyens etc? et généralement le bâtiment
va partir en fumée.
Bien évidemment, à la fin tout sera éteint,
puisqu'en fin de compte, tous les feux s'éteignent
à un moment ou à un autre. Mais, d'une façon
très concrète, si au bout de 12 minutes, tout n'est
pas éteint, la surface détruite une fois
l'extinction réalisée, sera certainement
supérieure à la surface qui était
déjà détruite ou en feu à la mise en
?uvre des moyens.
Note : nous voyons d'ailleurs que cette constatation, simple à
réaliser, devrait permettre d'ouvrir les yeux sur bons nombres
d'interventions défaillantes mais apparaissant comme des réussites. Si
à la mise en ?uvre des moyens, il y a par exemple 10m2 de détruits et
5m2 en feu, et qu'à la fin de l'extinction, nous constatons qu'il y a
30m2 de détruits, il est assez dévident que cela ne pourra pas être la
preuve d?une réussite, mais plutôt celle d'un échec. |
Ce temps de «12min maximum» est confirmé par plusieurs études et plusieurs essais.
Ed Hartin, dans un article intitulé «12 min on the
fireground», prend quelques feux et constate que leur
évolution à repris a l'arrivée des secours
et que la fin de l'opération, soit par extinction soit par
accident, survenait dans un délais de 12min maximum après
l'arrivée.
Dans «
Approche Tactique»
avec un nombre de feux analysés beaucoup plus grand que dans
l'article de Ed Hartin, la constatation est la même. Ainsi,
les deux sapeurs-pompiers décédés lors du feu de
Blaina, sont morts moins de 10 minutes après
l'arrivée sur les lieux. Idem pour Neuilly, Plumaugat
etc?
De même, les quelques (rares !) vidéos
d'opérations «rondement menées» qui
sont disponibles sur internet, montrent des délais très
courts. Une vidéo, disponible sur Youtube, relative
à la gestion d'un incendie sur le secteur de
Levallois (Paris), montre un premier engin incendie
s'arrêtant à 1min53 sur la vidéo, et le feu
éteint à environ 8min45, c'est-à-dire moins
de 7 minutes après l'arrivée.
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Feu sur le secteur de Levallois
(Paris. A gauche le fourgon incendie est en train de s'arrêter.
la vidéo indique 1 min 53. Alors qu'au moment de l'arrêt
du véhicule, le feu faisait rage dans l'appartement (flammes
importantes en sortie de fenêtre), à droite le feu est
éteint (fenêtre en haut, au centre). La vidéo
indique 8 min 45. |
Nous pouvons ajouter à ces remarques, les résultats de
différents essais. Dans la série d'article «
Etablir Autrement», les modes de mise en ?uvre de tuyaux avec caisses et écheveaux ont été testés. Dans
le 4éme article de cette série,
un essai d'établissement en étage est
analysé. Il montre la mise en ?uvre d'une ligne
à 500lpm, au 10éme étage, en 7min35. Une analyse
précise de la vidéo montre qu'il est possible, de
gagner plus de 2min, simplement par des détails. Une
série de tests a ensuite été effectué, sur
le même trajet, dans les mêmes circonstances, mais en
indiquant au préalable les points à améliorer. Le
résultat a été conforme aux attentes, avec des
temps de l'ordre de 5 minutes pour 10 étages, le record
étant de moins de 5 minutes pour 12 étages, à deux
!
D'autres essais ont été réalisés, au
niveau de la durée totale d'extinction. En 2008, des
essais d'extinction ont été réalisés
à Mouscron (Belgique). Passage de porte, progression pour
traverser une pièce puis attaque d'un foyer situé
dans une autre pièce. En tout, entre le début de
l'action et le déblai, il s'est écoulé
environ 2 min. En octobre, un test a été effectué
lors d'un stage de formateur flashover. Un ensemble de palettes a
été mis à feu. Une fois le tas bien en feu, avec
un plafond de fumée bien chaud, à environ 1m du sol, le
binôme s'est engagé, a parcouru tout le caisson,
puis a attaqué le foyer en s'en approchant a environ 2m.
La vidéo montre qu'entre le début de l'action
et le moment ou le binôme se lève, et dégage
à la main les palettes encore fumantes, il s'écoule
2 minutes. A Brasila, des tests multi-caisons, on montré
qu'entre le moment ou le binôme s'engageait, pour
passer une porte puis attaquer efficacement le feu, le temps
était identique aux autres essais.
Sur la vidéo de Levallois, citée plus haut, le temps qui
s'écoule entre le début de l'attaque et
l'extinction est là aussi de l'ordre de 2 à 3
minutes.
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A gauche début du test, la
vidéo marque 6min 12. A droite le binôme est debout en
train de déplacer les palettes. La vidéo marque 8min 08.
La progression, assez lente a été faite sur environ
7m, puis l'attaque a été menée avec la
méthode pulsing-penciling donc une méthode
également assez lente. |
La distance parcourue en progression peut sembler, dans le cas du
caisson, très faible. En effet, le caisson fait 12m de long, et
la zone de feu environ 3m. Le binôme s'est placé à
peu prés à 2 m de la zone de feu pour attaquer. Il a donc
parcouru environ 7m. La distance vous semble minime? C'est donc que
vous n'avez jamais mesuré votre appartement. Prenez un
mètre et mesurez la distance à parcourir pour aller de la
porte d'entrée à chacune des chambres et à la
pièce la plus éloignée. Pour ma part, alors que
j'habite un appartement de grande taille, la distance la plus grande
à parcourir est de 9m. Et l'accés aux chambres se
fait aprés un trajet de seulement 7m...
De plus, la phase de progression, si elle est bien effectuée
(pulser pour refroidir, observer puis avancer), se fait à une
vitesse assez constante. Sur la vidéo du caisson par exemple, la
progression commence à 6min 12 et l'attaque commence à
7min soit seulement 50 secondes plus tard. Nous pouvons donc estimer
que si le binôme devait parcourir deux fois plus de distance
(soit prés de 14m!!) cela n'augmenterait le temps total que
d'à peine une minute.
Nous avons donc une concordance : entre 5 et 8 minutes pour mettre le
dispositif hydraulique en place et de 2 à 3 minutes pour
éteindre, ce qui nous donne bien une échelle de
temps de 7 à 11 minutes environ.
Cette première notion de temps est importante car elle va
déjà permettre de juger de l'intérêt
des actions. S'il faut par exemple 25 minutes pour mettre en
place un moyen aérien, est-ce que cela vaut la peine de
«consommer» du personnel pour cela? Ne vaut-il pas mieux
l'utiliser pour avoir le maximum de moyen dans cette marge de 10
minutes ?
Gardons cette interrogation de côté. Nous y
répondrons plus tard, après avoir vu l'autre
notion, celle du temps superposé?