Evolution: possible ou impossible? (I)
Date: 16 août 2009 à 15:19:55 Sujet: C'est mieux en le disant!
Les services incendie font face à une évolution des
habitations et des technologies devant laquelle ils semblent assez
impuissants. Malgré des efforts de bonne foi, malgré des
annonces tonitruantes, les services évoluent peu. En tout cas,
s'ils évoluent, c'est avec une vitesse
inférieure à la vitesse d'évolution du
contexte dans lequel ils doivent agir. Or, une analyse des cas, des
possibles, des méthodes et des moyens mis en ?uvre, montre
de façon évidente que les choses ne bougent pas. Pire,
dans certains secteurs, les services sont comme paralysés par
l'ampleur du changement nécessaire, totalement
sclérosés et figés dans des conceptions
passéistes. Et malheur à celui qui a la moindre
volonté de changement car il est tout de suite
considéré comme un danger pour un ordre bien
établi.
A l'heure ou la Qualité et la Sécurité sont
les maîtres mots dans l'industrie, à l'heure
où les véhicules sont de plus en plus sûrs,
à l'heure de la qualité d'analyse, il est
temps de prendre conscience du disfonctionnement chronique des services
quant à la gestion des améliorations. Car malgré
ce que l'on entend, tout est là pour prouver,
démontrer et valider le fait que les lendemains qui
s'annoncent seront remplis de larmes plutôt que de rires.
Au long de plusieurs articles, nous allons essayer de comprendre en
premier un fonctionnement général, puis nous analyserons
la manière dont sont réalisés les documents
relatifs aux accidents ainsi que l'impact qu'ils peuvent
avoir, tout comme l'impact que peut avoir la recherche. Nous
terminerons enfin par la présentation d'une
méthode, sans doute apte à faire avancer les choses, si
l'on consent à la mettre en place.
Afin de comprendre une situation, il est toujours bon d'en
chercher l'historique et de voir si, à un moment ou
à un autre, le déroulement apparemment normal, ne se
serait pas écarté de la ligne que l'histoire
pouvait prétendre tracer. Nous notons ainsi que les grands
corps, qui, tout au long du siècle dernier, ont forgé le
fonctionnement des services incendies, ne sont plus le moteur de cette
évolution, si infime soit elle. L'arrivée
d'internet a permis des contacts jusque là impossibles et
la capacité de communication d'un simple individu
égale désormais celle d'une entité de
plusieurs milliers d'hommes d'autant que, soucieux de
préserver des règles souvent dépassées, les
grands corps s'auto censurent. Celui qui ose se lever pour parler
est aussitôt rabaissé alors même que les
idées émises ne le sont que pour le bien de tous. Et
quand bien même elles seraient émises dans le but que
l'individu qui les annonce en tire quelque gloire, où en
serait le problème si ces idées bénéficient
à l'ensemble du groupe ? Piégé par
l'incapacité à reconnaître les idées,
on voit alors certains services les prélever de façon
parfois malhonnête, les copiant sans citer les sources ou les
déformant afin de ne jamais admettre qu'elles viennent
d'autrui.
A l'inverse, les petits corps, dans des systèmes où
ils sont totalement isolés, sont désormais des lieux
d'expérimentation, affranchis des règles
inadaptées. Dans un pays ayant mis en place un regroupement des
moyens (cas de la France avec la départementalisation), le poids
de la hiérarchie peut devenir lourd et freiner néanmoins
ces cerveaux bouillonnants. En revanche, en Belgique (par exemple), le
système communal qui prévaut encore, aboutit a de grandes
différences. Certains petits corps restent totalement
passéistes, d'autres se sont résolument
tournés vers le futur et regardent désormais avec
amusement les grands corps et leurs règles du siècle
dernier. Quel dommage de ne pas accepter d'entendre ces moteurs
d'innovation et quel dommage de ne pas leur faire honneur !
Pour comprendre tout cela et surtout pour comprendre le manque
d'évolution, il convient de sortir du cadre
sapeur-pompier. Ce cadre est en effet trop replié sur
lui-même pour que sa simple analyse nous donne des pistes de
travail. Nous chercherons les réponses dans le domaine des
gestions de projets et plus particulièrement dans le domaine des
projets militaires.
Les actions
Lorsque des actions sont menées par des individus, quel que soit
le domaine, elles peuvent réussir ou échouer. C'est
une évidence. Mais que ce soit face à une action
couronnée de succès ou une action aboutissant à un
échec total, deux options se présentent : la
compréhension ou l'incompréhension du
déroulement aboutissant au résultat.
Il s'en suit 4 cas :
- L'action est réussie et l'on sait pourquoi
- L'action est réussie et l'on ne sait pas pourquoi
- L'action est un échec et l'on sait pourquoi
- L'action est un échec et l'on ne sait pas pourquoi
De toute évidence, le premier cas est idéal. Il
mêle à la fois réussite et capacité à
comprendre parfaitement ce qui a entraîné celle-ci. Dans
ce cas, la réussite est répétable,
maîtrisée. Les deux cas où l'action
échoue semblent les plus gênants. Mais en fait, ils ne le
sont pas. En effet, l'échec, surtout lorsqu'il est
flagrant, entraîne immédiatement une réaction.
Mais le Qualiticien sait bien que le cas le plus dangereux n'est
pas l'échec de l'action. Car l'échec de
l'action est toujours mêlé à du
sentimentalisme et les améliorations qui en résultent
sont rarement, pour ainsi dire jamais efficaces.
Le plus dangereux c'est le cas de l'action réussie
sans que l'on sache pourquoi. Car le fait que l'action soit
une réussite suffit pour s'en contenter. Pourquoi analyser
puisque tout s'est bien passé? Pourquoi se réunir,
se critiquer, analyser, alors qu'il n'y a eu aucun
problème? Le simple fait que l'action soit une
réussite, laisse immédiatement penser que c'est une
preuve de la qualité du processus.
Dans le cas des sapeurs-pompiers, la preuve est
considérée comme irréfutable : il y a du feu, les
pompiers arrivent, font quelques actions et après? il
n'y a plus de feu.
Il y a donc preuve de l'efficacité des actions. Et
à ce jeu-là, les grands corps sont encore plus
persuadés que les autres du fait que leur nombre
d'interventions est important. Qu'une simple remarque soit
faite sur une procédure mise en place dans un service incendie
de grande taille, et la réponse est immédiate : cela fait
des années que l'on fait comme ça, nous avons de
l'expérience, nous avons déjà sauvé
des dizaines de personnes. La moindre remarque est balayée
dédaigneusement et l'on reste sur ses positions, puisque
l'on a la «preuve» de l'efficacité.
Von Kluck
Dans son ouvrage «La discorde chez l'ennemi» [1] le Général de
Gaulle analyse les points qui ont conduit l'Allemagne à la défaite de
1918. Ce document, édité la première fois en
1924, analyse les causes de cette défaite, alors même que
tout semblait aller pour le mieux. Parmi les textes, il en est un,
particulièrement intéressant qui
relate justement des actions menées avec succès, sans que
l'on sache
pourquoi et qui, à terme ont conduit à une catastrophe.
Tout comme les
sapeurs-pompiers réalisent des actions couronnées de
succès mais sans
réellement être capables d'expliquer
«pourquoi», les troupes Allemandes
ont remportés des succès flagrants, en restant certaines
d'une maîtrise
de la situation. Et, tout comme les sapeurs-pompiers qui restent
stupéfaits en cas d'accident, l'armée
Allemande a appris à ses dépens
que ces «preuves» n'en étaient pas.
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Charles de Gaulle (1890-1970) |
Tout commence le 1er Juillet 1866. A l'époque, on ne parle
pas d'Allemagne, mais de Prusse. L'armée est
engagée contre les Autrichiens. Le GQG (Grand Quartier
Général) Prussien est commandé par le
Maréchal Moltke. Celui-ci est un fin stratège, qui
analyse tout, prévoit tout. Mais son analyse de la situation est
fausse. Ceci étant, la veille, il donne des ordres, mais ajoute
à l'attention des chefs d'armées, qu'il
leur laisse l'entière liberté de faire ce
qu'ils veulent et que, quelle que soit l'issue, il les
couvrira devant le pouvoir royal. Le jour de la bataille, les chefs ne
se privent pas de cette liberté. Ainsi,
Frédéric-Charles reçoit l'ordre de ne pas
attaquer les Autrichiens sauf s'ils sont en nombre très
faible. Alors qu'il rencontre une masse considérable
d'Autrichiens (au moins 4 corps d'armée) il les
attaque quand même. Quant au Prince Royal a qui
l'ordre a été donné de rester sur place, il
fait mouvement sur l'ennemi.
Or, le soir, le résultat est flagrant : l'armée
Autrichienne est battue ! La Prusse sort vainqueur et d'un coup,
la totalité de la population, l'armée, les
politiques, élèvent Moltke au rang de génie
militaire. La «Méthode Moltke» est née. Et
elle fonctionne, tout le monde en a la preuve puisque la Prusse a
vaincu l'Autriche et que c'était le but à
atteindre.
L'Histoire va se charger de conforter cette opinion. Le 15
août 1870, c'est contre les Français que la bataille
fait rage. L'armée de Metz (armée Française)
fait route sur Verdun. Au GQG Allemand, c'est encore Moltke qui
dirige et qui réitère l'exploit de 1866. Il part du
même principe : tout est analysé, mais les chefs
d'armées en feront à leur guise. Et ceux-ci ne
s'en privent pas, chacun y allant de son idée et de ses
actions. Le lendemain, le III ème corps d'armée et
le X ème corps vont se heurter à l'armée
Française. Celle-ci réagit vivement mais ne
réussit pas à changer le cours des
événements. Le 18 août, les objectifs Allemands
sont atteints. A nouveau, la «Méthode Moltke» a fait
ses preuves et ce renouvellement d'un bon résultat est
considéré comme une preuve ultime.
A ce stade de l'histoire, l'armée Allemande est
comparable à tous ces corps de sapeurs-pompiers, qui
enchaînent incendies sur incendies, certains d'avoir la
maîtrise des choses puisqu'à chaque fois le feu est
éteint. Sauf qu'un feu ne dure jamais éternellement
et que peu de sapeurs-pompiers se demandent si réellement ce
sont eux qui ont éteint le feu, ou si celui-ci ne leur aurait
pas facilité la tâche en diminuant progressivement
d'intensité, naturellement.
Comme le feu de Neuilly qui a tué 6 jeunes hommes, comme le feu
de Uccle qui a tué deux sapeurs-pompiers qui tous avaient
pourtant fait de nombreux feu avant ceux-ci, l'Histoire se
charge, le 2 septembre 1914 de démontrer que la succession de
réussites n'est pas la preuve de l'efficacité
de la méthode.
Le GQG Allemand est cette fois installé à Luxembourg. Le
lieu est mal choisi, mais peu importe. Le GQG est commandé par
le neveu du Maréchal Moltke, le Lieutenant Général
Moltke. Celui-ci porte le fardeau de son nom. Malgré son analyse
de la situation, malgré les ordres qu'il donne, il
n'est que celui qui porte le nom de ce «Monsieur qui eut tant de talent».
Et ses chefs d'armées ne jurent de toute façon que
par la «Méthode» de son oncle puisque les deux
actions précédentes ont «prouvé» que
cette méthode était excellente.
Comme l'écrit Charles de Gaulle, cette manière de faire c'est «la pure manière du grand Moltke».
Le 2 septembre, le Général Von Kluck, reçoit l'ordre de couvrir la II
ème armée, en avançant de manière échelonnée contre les Français. Mais
Von Kluck préfère suivre l'exemple de ses aînées de 1866 et 1870
puisqu'il a «la preuve de l'efficacité de cette méthode».
Le 3
septembre, Von Kluck passe la Marne et en informe le GQG.
Le 4
septembre, le GQG est prévenu d'importants mouvements de troupes
Françaises et prévient Von Kluck qu'il doit se placer entre l'Oise et
la Marne. Mais Von Kluck reste persuadé du bien fondé de la «Méthode
Moltke» et continue comme avant.
Le 5 septembre, il informe le GQG
qu'il va poursuivre sur la Seine, puis sur Paris. Pour Von Kluck, la
défaite Française n'est qu'une affaire de quelques jours. Mais son
télégramme au GQG croise celui qui lui annonce que les Français se sont
regroupés et réagissent. Si Joffre avait reculé, c'était pour préparer
sa contre offensive et celle-ci se démarre alors, bousculant Von Kluck
et mettant en échec tout le plan Schlieffen.
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Alexander Von Kluck (1846-1934) |
La suite, nous la
connaissons tous : 4 ans dans les tranchées, 10 millions de morts et
environ 20 millions d'invalides. Une belle preuve que la réussite d'une
action n'est pas un élément suffisant pour juger de l'efficacité de
celle-ci !
Dans son descriptif de cette suite d'événements, Charles de Gaulle conclu : «L'histoire
militaire allemande, cédant à l'orgueil national,
s'était contrainte à ne pas discerner, dans
l'étude des victoires, les fautes commises, à
n'en point tirer d'avertissements».
Nous sommes bien là dans la plus parfaite concordance avec le
fonctionnement des services incendies. Seuls sont analysés les
interventions ayant causé le décès de
sapeurs-pompiers. Dans quelques cas, fort rares, il y a des analyses en
cas de blessures, mais la plupart du temps cela se borne a quelques
remarques sans grand intérêt. Quant à
l'analyse des interventions «réussis», il
n'y en a jamais. Comme les Allemands n'ont pas
analysé leurs victoires de 1866 et de 1870, les sapeurs-pompiers
n'analysent pas «lorsque tout va bien». Et comme Von
Kluck en 1914, lorsque plus rien ne va, ils ne comprennent pas pourquoi.
Dans l'industrie
En tout était de cause, la répétition de la
réussite d'une action, n'est pas et ne sera donc jamais la preuve que le mode opératoire est bon. Ceci est valable quelle que soit l'activité.
Pour l'industrie, ceci n'a été
réellement compris que lorsque que la technologie a
évolué. Ainsi, au début de
l'électronique, les composants étaient
fabriqués sans que le processus de fabrication ne soit
très évolué. En sortie de fabrication, les
composants étaient testés et ceux qui étaient
défectueux étaient jetés. Globalement,
l'industrie en général fonctionnait de cette
manière. Mais en électronique, l'augmentation de la
complexité et la miniaturisation ont obligé à
accroître la rigueur des tests. Rapidement, le nombre de rejets
est devenu important, à tel point que l'industrie jetait
plus qu'elle ne gardait.
Le simple fait d'avoir un peu mieux analysé le
résultat, démontrait donc que l'action
n'était pas aussi bonne qu'on le pensait. Pourtant
le mode de fabrication n'avait pas évolué, il ne
s'était pas dégradé au cours du temps et
avait toujours semblé excellent. C'est simplement
l'analyse qui montrait qu'un processus, apparemment
correct, ne l'était pas.
En réaction à cette découverte, les fabricants de
composants électroniques ont créé le concept de
«Clean Room», les chambres stériles où la
qualité de fabrication est poussée à un
très haut niveau, ceci afin d'éviter les rejets.
Ce changement de méthodologie, dans de nombreux secteurs, a
également été provoqué pour d?autres
raisons.
En premier, la complexité de tests. Ainsi, en informatique, les
choix possibles à l'intérieur d'un simple
programme, sont tels que tester toutes les combinaisons est devenu
irréaliste. Or, des études menées entre autres aux
USA, ont abouties à la conclusion que la
«réparation» d'un logiciel
c'est-à-dire la correction des erreurs de conception,
pouvait amener un coût jusqu'à 100 fois
supérieur à celui de la création de ce programme.
Là encore, la méthode «Clean Room» a permis
de changer les choses. Dans des systèmes qualité tels que
CMM, il est conseillé d'avoir en permanence 2 programmeurs
sur chaque machine, l'un tapant le code, et l'autre se
contentant de le relire. Cela paraît assez sur-réaliste de
payer un programmeur pour seulement regarder ce que tape son
collègue, mais c'est ce genre de chose qui a permis
l'accroissement de la qualité des développements
informatiques.
En second, l'industrie fourmille de systèmes pour lesquels
le test du produit final est totalement impossible car les tests sont
destructifs. Ainsi, le «crash test» permettant
de vérifier que l'habitacle d'une voiture va
résister en cas de choc, est un test totalement destructif.
Concrètement, cela signifie que lorsque vous acheter une voiture
qui «résiste au crash test», vous achetez en fait
une voiture qui n'a pas été testée.
Simplement, le processus de fabrication est bien organisé,
fiable, maitrisé et répétable. Les
véhicules sont donc identiques ce qui signifie que les
résultats d'un essai destructeur sur un des produits,
valide les autres produits, sans avoir à les tester.
L'industrie ne tombe donc plus dans le piège de Von Kluck
: lorsqu'elle produit quelque chose «de bien», elle
est capable de répéter cette action car cette action est
maîtrisée.
Note: en informatique, la norme de Qualité CMM
posséde des niveaux. Au dela du niveau initial qui est le
"chaos" de chaque entreprise avant qu'elle ne se penche sur le
problème de la qualité, le premier niveau
réellement "qualité" défini par CMM, porte le nom
de "répétable". Dans ce cas, l'entreprise qui atteint ce
niveau est capable de répéter une action, quasiment
à l'identique. Dans les niveaux supérieurs, l'entreprise
est capable d'expliquer et de justifier sa méthode et de mettre
en place des systèmes évitant les déviations. Dans
de telles normes, ce n'est donc pas le résultat qui est
"certifié" mais bien le processus permettant d'aboutir au
résultat. Il n'y a donc ni obligation de résultat, ni
obligtaion de moyen, mais obligation de maîtrise d'un processus.
Chez les sapeurs-pompiers
Par contre, les sapeurs-pompiers tombent quotidiennement dans le
piège. A leur arrivée sur les lieux, il y a du feu. Ils
jettent de l'eau, le feu s'éteint. Il est donc
compréhensible que tout le monde soit persuadé que
c'est cette action qui a été le facteur de
réussite.
Mais autant un industriel saura expliquer son processus, autant le
sapeur-pompier en est globalement incapable. Les gestes se font «parce qu'on a toujours fait comme ça» et «parce que ça marche».
Bien sûr, certains comprennent «pourquoi», mais
lorsque l'on cherche à expliquer, même de
façon très simple, cela amène quasiment toujours
à la même conclusion : l'action menée
n'est pas aussi efficace qu'il y parait. La simple analyse,
de par la conclusion qu'elle amène, presque
inévitablement, est donc considérée comme
néfaste car remettant en cause une pratique qui, de l'avis
de quasiment tous les sapeurs-pompiers, aboutit à de bons
résultats.
Note : Ce point est accentué par l'opinion
apparente de la population, qui, si nous nous référons
aux sondages, a la plus haute estime pour les sapeurs-pompiers. Mais
là encore, avons-nous une information prélevée de
la bonne manière? Lorsque sur certains secteurs de France par
exemple, les petits services incendies sont fermés pour cause de
rationalisation, la population ne manifeste que très rarement,
pour ne pas dire jamais. En même temps, le nombre de plaintes
déposées contre les services incendies, ne fait
qu'augmenter et les agressions sur les secteurs dit
«sensibles» sont désormais monnaie courante. A
la question «Etes-vous pour ou contre la torture», la quasi
totalité des sondés répondrait
«contre». Alors peut-on imaginer une personne qu'y
répondrait «non» à la question «Aimez
vous les sapeurs-pompiers?»? Et dans ce cas, le taux
particulièrement élevé d'opinion favorable
est-il réellement représentatif de l'opinion
générale?
Lorsqu'un jour, face à un incendie, le résultat
apparaît comme mauvais, la réaction est totalement
désordonnée. Dans le pire des cas, un ou deux
sapeurs-pompiers ne rentreront pas chez eux. Mais au-delà des
morts, combien de maisons, d'appartements, ou d'entreprises
sont parties en flammes alors même que les sapeurs-pompiers
étaient là, et s'agitaient en tout sens?
Nous avons même une sorte de preuve de cette
incompréhension lorsque les moyens sont insuffisants et
qu'il faut en changer. En toute logique, le choix des moyens
devrait se faire en fonction d'une bonne analyse de la situation,
et les moyens devraient être largement supérieurs aux
besoins. C'est le principe militaire Américain consistant
à mettre en oeuvre une force très largement
supérieure au besoin estimé.
Dans le cas des sapeurs-pompiers, le choix des moyens est dicté
par l'habitude et celle-ci ne change que lorsque les dimensions
des feux sont inhabituelles. Ce qui est un autre paradoxe : alors que
le sapeur-pompier aime dire que «tous les feux sont
différents», il s'enferme dans une routine
opérationnelle sans analyse, sous prétexte qu'il a
«toujours fait comme ça». Et lorsque, face au feu,
il se fait déborder, il continue à insister avec ses
faibles moyens car jusqu'au bout «il y croit».
Le changement tactique ou matériel se fait donc très
tardivement, et comme il prend du temps, les nouveaux moyens mis en
?uvre rattrapent rarement le retard pris par les moyens
précédents et tout est perdu.
Tout ceci parce que les sapeurs-pompiers sont confrontés
à un problème très vicieux, que ne connaissent ni
les militaires, ni les industriels :
- Face à l'ennemi, si le militaire ne fait rien, il
est battu car l'ennemi va venir à lui et le détruire
- Face au client, l'industriel devra apporter un produit faible, sinon il perdra ce client
Mais le sapeur-pompier est face à un ennemi qui n'est pas
humain, et qui plus est, un ennemi qui va mourir naturellement.
Ce point est très important : si «réussir une action sans savoir pourquoi»
est un mode de fonctionnement très dangereux, être
incapable de savoir si cette action est réellement une
réussite, accroît encore le caractère
périlleux de la situation.
Si nous reprenons l'exemple de Von Kluck, l'épisode
de 1866 et celui de 1870 sont de véritables réussites.
Les Allemands ne sont pas face à des résultats
qu'ils pensent être «bons». Ils sont face
à un résultat qui est réellement bon. Ils sont dans le cas «ça marche, mais nous ne savons pas pourquoi».
Le sapeur-pompier n'est même pas dans cette situation : il est dans le cas «je ne suis pas capable de dire si ça a réellement marché, et je ne suis pas capable de dire pourquoi». Si à l'arrivée des secours, il y a 10m2 en feu, et que l'incendie, une fois éteint, à détruit 50m2,
le sapeur-pompier restera sur l'idée que le feu est
éteint, donc que c'est une réussite, alors
même que l'accroissement de surface démontre de
façon assez évidente que c'est plutôt un
échec.
Conclusion
Avec d'un côté une complète incapacité
à définir correctement la validité de ses actions
(est-ce réussi ou non?) et de l'autre, une
incapacité à expliquer pourquoi il arrive à un tel
résultat (bon, apparemment bon ou même mauvais), le
sapeur-pompier ne possède pas d'éléments
d'analyse lui permettant d'améliorer son processus.
Il reste donc en permanence dans une ignorance quasi totale. En cas
d'accident, son incompréhension est alors totale et sa
remise en question personnelle très difficile, puisque les
«réussites» habituelles de ses actions le confortent
dans son idée principale : il réussit à
éteindre les feux et si cela va mal, c'est certainement
une fatalité.
[1] "Le fils de l'épée et autres écrits". Charles de Gaulle. Editions Plon. ISBN 978-2-259-19139-5
[2] "Achtung Panzer - The development of tank warfare". Heinz Guderian. Editions Cassel. ISBN 0-304-35285-3
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