Tactique (VI)

Date: 17 janvier 2010 à 00:00:00
Sujet: Tactique et Pratique


Nous voici déjà au 6éme article de la série. Les choses commencent à se préciser. Pour l'instant nous avons surtout tenté de comprendre ce qui ne va pas et si nous regardons les interventions qui se déroulent sur notre secteur ou qui sont disponibles sur internet, en vidéo, nous constatons que nos remarques sont assez pertinentes. Cette fois, nous allons nous commencer à nous attaquer aux différentes tâches composant une intervention, afin de voir si leur rangement peut nous donner une partie de la solution.

Mais avant, nous allons éclaircir quelques points, afin de répondre à des remarques et des questions apparues suite à la lecture des articles précédents.

12 minutes
En premier, revenons sur les 12 min. C'est le temps généralement constaté entre le moment de l'arrivée sur les lieux et le résultat, ou du moins de ce que l'on peut appeler la promulgation des résultats. L'équipe arrive, prépare, puis fait quelque chose. Au bout de 12 min, on regarde ce que ça donne : soit c'est éteint, soit ce n'est pas éteint. Cela ne veut pas dire qu'à la 13éme minute on range le matériel, mais en tout cas à la 13éme minute (en schématisant) nous savons si le résultat est bon ou pas.

Comme pour une recette de cuisine : nous avons pris des ingrédients (pour nous, c'est le choix des moyens), puis nous avons cuisiné (pour nous, c'est l'utilisation des moyens). A la 13éme minute, nous  sortons le gâteau du four. Si nous avons choisi les bons ingrédients et que nous avons bien cuisiné, le gâteau est bon. Sinon il n'est pas bon.
Mais que l'on ait choisi ou non les bons ingrédients et qu'ils aient été utilisés de façon correcte ou non, ne change rien au fait que tout ceci se déroule en 12 minutes.

Ce qui nous intéresse, ce n'est donc pas de diminuer ce temps. Ce qui nous intéresse c'est d'avoir un bon résultat ou en tout cas le résultat voulu. Si nous nous basons sur le contenu général de flashover.fr, notre objectif c'est l'extinction d'un feu de local. Mais notre système d'organisation peut (doit) marcher pour tout autre chose. Si nous arrivons sur un feu d'habitation avec le toit intégralement percé, et en feu, il est clair que nous n'aurons pas le même objectif. Mais nous devrons quand même mettre en oeuvre des moyens donc une organisation, pour arriver à l'objectif qui sera fixé.

L'autre élément à prendre en compte, c'est que ce temps n'est visiblement pas modifiable dans le contexte de nos feux de locaux, car quelle que soit la méthode qui sera choisie, il faudra mettre en place du matériel, puis agir. Cette action aura un effet sur le feu. Soit cet effet sera de le tuer, soit cet effet sera de lui apporter du comburant et de la faire progresser.
En clair, notre but n'est pas «aller plus vite». Notre but c'est «mieux faire», toujours dans ce même laps de temps.

Le nombre ne fait rien à l'affaire

La mise en place de la notion de temps superposés permet de voir que le temps des uns ne rallonge pas le temps des autres, mais qu'il ne le raccourcit pas non plus.
C'est, rappelons-nous, la remarque des informaticiens sur le fait que 9 femmes ensemble ne font pas un enfant en 1 mois.
Ceci est facile à vérifier au travers de trois petits essais :
  1. Prenez un binôme et demandez lui d'établir une lance. Chronométrez le temps nécessaire.
  2. Prenez 3 binômes et demandez à chaque binôme d'installer une lance, en même temps. En tout, vous aurez donc trois lances installées. Chronométrez le temps nécessaire.
  3. Prenez 3 binômes et demandez leur d'établir une seule lance (donc 6 personnes installent une lance). Chronométrez le temps.
Vous verrez que le temps de l'essai 1 est égal au temps de l'essai 2, ce qui est logique. Le temps de chaque binôme a été superposé au temps de l'autre, mais le temps global, notre temps «linéaire» n'a pas été modifié.
Par contre, il y a de très forte chance que le temps du 3éme cas soit supérieur aux autres. Pourquoi ? Parce que les 6 personnes se sont gênés. En fait, soit vous en aurez deux qui installeront la lance et quatre qui ne feront rien, soit tout le monde va vouloir faire et tout le monde va gêner tout le monde.

C'est pour cela que les départs avec un grand nombre de personnes ne donnent rien de bon : ils donnent une impression de foule, mais ne sont pas «rentables». Là encore, en gestion de projet ce problème est bien connu mais semble  ignoré des services incendies, qui pensent que pour  mieux lutter contre les feux, il faut envoyer un nombre important d'engins. Attention, cela ne veut pas dire qu'il faut partir à 2 sapeurs-pompiers! Simplement il faut trouver le nombre de personnes idéal en fonction de l'objectif. Lorsque cet objectif n'est pas atteint, il faut se pencher sur l'organisation du groupe et pas tout de suite rajouter du personnel en pensant que plus il y aura du monde et mieux ça ira.

Pour les passionnés de lecture, je ne peux que conseiller "Le mythe du mois homme, Essai sur le génie logiciel", de Frederick P.Brooks (Edition Thomson Publishing ISBN-2-84180-081-4). Assez imbuvable pour ceux qui sont réfractaires à l'informatique (Brooks est le «papa» de l'IBM System/360), ce livre décortique les projets informatiques réussis ou raté en fonction de l'organisation.

Nous y lisons: «Nous avons tendance à blâmer le support physique pour la plupart des difficultés d'implémentation, car le support n'est pas «notre» dans le sens ou nos idées le sont et l'amour-propre nous empêche de voir plus loin». Pour l'informaticien, c'est le fait de dire que si le programme n'affiche pas les images assez vite c'est que «la carte graphique n'est pas bonne», alors qu'en fait le programme qu'il a réalisé est trop lent. Pour le pompier, c'est la lance qui est fautive. Pas le fait que le porte lance n'a pas arrosé au bon endroit parce qu'il a «pensé que» c'était mieux d'arroser autre part !

Concernant l'ajout de personne, le cas est traité de façon très mathématique :
«Si chaque tâche doit être séparément coordonnée avec chaque autre, l'effort augmente en n(n-1)/2 où n est le nombre de tâches. Trois travailleurs réclament 3 fois plus d'intercommunication que deux, 4 en réclament 6 fois plus que deux. L'effort supplémentaire de communication peut complètement annihiler les gains apportés par la division de la tâche». Et Brooks de conclure «A ce stade, ajouter des hommes allonge le délai au lieu de la raccourcir».
C'est aussi ce que nous connaissons comme étant la Loi de Smith : «Ajouter plus de personnes à un projet qui est en retard ne fait que retarder encore plus celui-ci».

La seule chose c'est que dans notre cas, le délai fatidique des 12 min sera toujours présent. Car pour nous, diminuer le nombre d'hommes ou l'augmenter ne change rien à ce temps linéaire. Simplement, comme nous allons avoir de plus en plus de couches de «temps superposés» nous allons augmenter la difficulté de gestion alors même que le temps linéaire restera le même.

Le chef de projet informatique qui ajoute du personnel, va quand même réaliser le logiciel. Simplement celui-ci sera réalisé en un temps de plus en plus long.
Le chef d'agrès qui demande de plus en plus de monde ne disposera toujours que de 12min et simplement, quand le gong va sonner au bout de ce délais fatidique, son équipe n'aura rien réalisé de correct. A vouloir augmenter le personnel, quand le four sera ouvert au bout des 12min, ce sera pour constater que tout le monde a mis des oeufs pour le gâteau, mais personne n'a pensé à la farine.

Si nous avons une équipe de 6 sapeurs-pompiers, dont un chef et un conducteur, nous n'avons que 4 personnes potentiellement «actives» contre le feu. La gestion de ces 4 personnes, donc entre autres, la surveillance de ces personnes pour les empêcher de réaliser des actions incontrôlées, est assez facile. Mais si nous avons 20 personnes comment faire? Comme tout le monde est habillé de la même manière, il est totalement impossible pour un sergent de savoir si tel sapeur-pompier se munissant d'une masse  pour casser un carreau et un membre de son équipe. Et le temps que le sergent analyse cela, le carreau sera cassé, le feu sera ventilé et la maison partira en fumée.

Que peut faire le diagramme de Gantt ?

Nous avons fini l'article précédent en indiquant que le diagramme de Gantt ne pourrait pas tout résoudre. Revenons quelques instants sur ce point avec le schéma ci-dessous.

Tactique-VI-1

Nous avons notre déroulement d'intervention, et nous y avons ajouté 3 zones regroupant des actions.

- Le groupe 1, en orange, entoure les actions initiales. Ici, cette zone regroupe la première analyse du chef et les actions d'attentes du reste du personnel. Nous savons que ce principe n'est pas bon, car il fait perdre beaucoup de temps et le personnel reste rarement inactif. Mais pour l'instant, nous ne savons pas comment gérer ce groupe d'actions et le diagramme de Gantt ne pourra pas nous aider, du moins pour l'instant. Pour le moment, laissons donc ce groupe «orange» de côté.

- Le groupe 2, en bleu, est le groupe des actions qui doivent s'enchaîner. C'est ce que le diagramme de Gantt peut faire de mieux. C'est de cela que nous allons nous occuper.

- Le groupe 3, en rouge, représente les «exceptions». Ce sont tous les événements non prévus. Le tuyau qui éclate, mais aussi la personne qui appelle au secours à la fenêtre alors que tout le monde avait dit que la maison était vide. Ces éléments, le diagramme de Gantt n'est pas fait pour les gérer. Pour l'instant, nous ne nous en occuperons pas et nous les traiterons dans un prochain article.

Ce que nous allons constater c'est que les réponses aux questions posées par le groupe 1 et le groupe 3, nous serons données indirectement par le diagramme de Gantt et les tâches que nous allons y placer. C'est pour cela que nous allons commencer par ce diagramme.

Remplir le diagramme
Le diagramme, ce n'est qu'une sorte de calendrier multi-couches, que nous remplissons avec des blocs. Donc dans notre cas, le diagramme représentera une intervention et nous allons découper ce travail en actions élémentaires. Par exemple installer une lance est une action élémentaire, alimenter l'engin également. Chaque action à bien un (ou plusieurs) acteurs : mettre la pompe en marche et régler correctement la pression sont des actions élémentaires pour le conducteur.
Au delà des actions déjà connues, nous en avons d'autres que nous ne réalisons sans doute pas, mais qui peuvent paraître intéressantes, comme par exemple le placement d'échelle si nous avons une habitation à étage. Ceci en se disant que si un sapeur-pompier monte et que le feu repart du RdC et monte par la cage d'escalier, cette échelle offrira au personnel piégé, une solution de fuite rapide.

Dans un projet, quel qu'il soit, il y a toujours au départ une impression de flou et de multitude, et le sentiment de ne pas savoir pas quel côté commencer. La solution, très simple est donnée par Descartes, dans «Le Discours de la Méthode». 
  • Ne recevoir aucune chose pour vraie tant que son esprit ne l'aura clairement et distinctement assimilé préalablement.
  • Trier ses difficultés afin de mieux les examiner et les résoudre.
  • Établir un ordre de pensées, en commençant par les plus simples jusqu'aux plus complexes et diverses, et ainsi de les retenir toutes et en ordre.
  • Passer toutes les choses en revue afin de ne rien omettre.
Comme l'indique Descartes, nous allons commencer par les actions les plus simples donc celles que nous connaissons déjà (établir une lance par exemple). Pour chaque action, nous allons mesurer afin de bien la juger. Progressivement, nous verrons alors apparaître des «trous», et des actions que nous n'imaginions même pas, nous deviendrons évidemment nécessaires.

Pour chaque action, nous avons trois paramètres et donc trois valeurs à trouver :
  • Qui réalise cette action ?
  • Qu'elle est l'action qui doit impérativement être réalisée avant (sorte de pré-requis de l'action)
  • Combien de temps dure cette action ?
Tactique-VI-2

Qui réalise l'action nous permettra de savoir sur quelle ligne de notre diagramme se trouvera celle-ci (1), l'action nécessaire avant, nous permettra de positionner notre action à partir du début (2) et enfin sa durée nous permettra de lui donner une longueur (3).

Nous pourrons ajouter bien évidemment un petit mode d'emploi pour la réalisation de l'action, ce qui nous permettra de réaliser des entraînements. Notons d'ailleurs qu'avec ce système, nous optimisons la formation puisque nous ne nous entraînons que de façon ciblée, la liaison entre les actions, leur enchaînement ne venant que de l'organisation. Cette découpe est déjà une mise en valeur du principe de Pareto, par lequel 80% des problèmes sont générés par seulement 20% des actions. En clair, une simple action mal faite perturbe l'ensemble et ce n'est certainement pas en faisant des manoeuvres générales, mélangeant toutes les actions que l'on ciblera et que l'on corrigera celle qui est fautive car celle-ci sera «noyée dans la masse».

Temps vs vitesse
Nous devons connaître la durée nécessaire pour chaque action. Mais attention, cela ne veut absolument pas dire qu'il faut «gagner du temps». Dans un système d'organisation, ce n'est pas la vitesse de réalisation qui compte, mais la fiabilité de ce temps. Qu'une équipe mette 30 secondes pour établir une lance ou qu'elle mette 2 minutes n'a en fin de compte que peu d'importance. Ce qui compte c'est de connaître le temps, à l'avance, avec le plus de précision possible.

Ainsi, si vous êtes locataire, vous allez devoir donner un pré-avis pour quitter votre résidence et aménager dans la maison que vous venez de faire construire. Peu importe la date à laquelle la maison sera habitable : ce qui importe c'est de connaître cette date à l'avance, afin que vous puissiez donner votre pré-avis pour quitter la location. Si on vous indique que votre maison sera terminée en Avril et qu'elle ne l'est qu'en Juin, vous serez à la rue pendant 2 mois. Si on vous indique qu'elle sera terminée en Avril, qu'elle est terminée 2 mois plus tôt et que vous devez 3 mois de pré-avis, vous aller devoir continuer à payer votre location pour rien.

Il en est de même pour le chef d'agrès : s'il compte sur une action en 4 minutes et qu'elle se fait en 8, cela perturbe toute son organisation. Mais si l'action est réalisée en 1 minute, cela perturbe aussi l'organisation car l'équipe va venir voir le chef alors que celui-ci est en pleine réflexion, avec le danger que cette équipe, disposant de temps, ne se mette à faire «quelque chose pour aider».

La réalité
Cette mesure du temps est à associer au «rendement» de l'action. Ces deux éléments sont difficilement mesurables car nous ne pouvons généralement les mesurer qu'en exercice.

Or, l'écart entre l'exercice et la réalité, peut être énorme.
Récemment, sur le forum, nous avons posté des messages relatifs à des vidéos tournées au Japon. Une recherche sur Youtube ou Dailymotion permet de trouver des dizaines de ces vidéos dans lesquelles sont filmés des exercices réalisés dans ce pays. Concours de manoeuvre, exercices classiques, peu importent, mais toujours est-il que le fonctionnement semble «robotisé» à l'extrême et fait découvrir à nos yeux ébahis, des établissements réalisés de façon impeccable, en quelques secondes. Où les choses deviennent plus amusantes c'est lorsque nous arrivons à nous procurer des vidéo de véritable feux, qui montrent alors un «bricolage» au delà de toute imagination.
Or, ce «bricolage» nous apparaît d'autant plus ridicule que nous le mettons en face des autres vidéos. C'est donc la comparaison qui fait la valeur et pas l'action en soit.

Tactique-VI-3 Tactique-VI-4
En exercice, un déroulé de tuyau parfait. Le tuyau se déroule entièrement et tout droit. Sur intervention, le «vrai» déroulé de tuyau : un tuyau qui se déroule sur 2m, part sur le côté et termine en tas.

Pour revenir à notre organisation, comment dans ces conditions pouvons-nous prévoir quelque chose? Le chef pense, à la vue de la manoeuvre, que les 4 ou 5 tuyaux seront déroulés, parfaitement droits, en quelques secondes. Son schéma de fonctionnement va donc prendre en compte ces paramètres. Même si ce n'est que mentalement, il va construire son diagramme de Gantt avec des «blocs élémentaires» qui auront les valeurs qu'il suppose être bonnes. Sur intervention, les actions ne seront pourtant pas semblables aux prévisions (et ici, c'est le moins que l'on puisse dire !).
La gestion des temps superposés deviendra rapidement un véritable enfer et la conclusion qui s'imposera d'elle-même sera que le système organisationnel, donc en quelque sorte le principe du diagramme de Gantt, n'est pas applicable. Alors qu'en fait, c'est simplement que le diagramme aura été rempli avec des données erronées.

Pour éviter ceci, la solution serait de réaliser des mesures multiples, dans des conditions diverses. Par exemple pour dresser une échelle, il ne faudra pas essayer une fois en plein jour, dans un lieu dégagé, mais essayer plusieurs dizaines de fois, par grand soleil, pluie, avec du personnel variable etc. Le principe peut paraître lourd, mais nous devons bien comprendre qu'à aujourd'hui, nous n'avons strictement rien, à part des idées ou des remarques du style «je pense que». Rien n'est véritablement chiffré alors que c'est la base de tout. En même temps, nous avons, avec internet, un outil fabuleux : un sergent du nord de la France qui fait un essai de mise en place d'échelle, obtiendra des valeurs : un temps et un nombre de personnes nécessaires. Un autre sapeur-pompier, même d'un autre pays, pourra faire la même chose. Même si le matériel est différent, cela donnera une idée du temps et permettra déjà d'avancer. Et avec le réseau, nous pouvons mettre nos valeurs en commun.
A ceci nous pouvons ajouter une analyse de toutes les vidéos disponibles sur internet, et qui montrent des actions menées sur intervention. Ceci devant nous permettre de moduler nos résultats de tests «manoeuvres» en fonction du stress, toujours présent.

Nous devions, dans cet article, commencer à remplir notre diagramme de Gantt. Sauf que nous avons découvert que pour le remplir, il fallait des données et que nous ne les avions pas. Ce préambule au remplissage, nous a donc permis de prendre conscience de ce besoin de lister les tâches, et de les définir. Dans le prochain article, nous ferons donc une liste. Et ensuite, vous entrerez en action en proposant éventuellement d'autres tâches, mais surtout en réalisant des mesures sur celles déjà définies.






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