Une bonne partie des formations relatives aux accidents thermiques, sont orientées vers la visualisation des phénomènes et, par extension, vers la visualisation des signes précurseurs de ceux-ci.
Or, malgré une étude plus qu'approfondie de ces paramètres, notre expérience commence à nous montrer que les conditions de visualisation peuvent être particulièrement étranges.
Nous nous contenterons ici de deux exemples, relatif à la lecture du feu lui-même: d'un côté la couleur des flammes et de l'autre la présence visible des roll-over.
La couleur des flammes? et la fumée
La couleur des flammes renseigne sur l'oxygénation du feu. Avec une présence d'oxygène, les flammes sont jaunes. Lorsque le taux d'oxygène diminue, elles deviennent plus orangées, et elles sont rouges sombre lorsque le comburant vient à manquer.
Cette différence de couleur est déjà visible lorsque l'on regarde les flammes sur toute leur hauteur : elles sont généralement jaunes en partie basse, oranges au milieu et, dans un feu de local, plutôt rouges en partie supérieure.
La couleur des flammes et donc un paramètre intéressant car il est préférable de lutter contre un feu mal oxygéné, que contre un feu qui va pouvoir " respirer " librement. Face à un feu " jaune ", l'attaquant devra d'abord se soucier des problèmes de ventilation (porte ouverte, fenêtre, aération?) Ce changement de couleur est parfaitement visible dans un caisson " flashover ". Ou du moins, ce changement de couleur est visible dans certaines conditions : lorsque le caisson est ventilé par sa partie supérieure (exutoire), le plafond de fumée remonte, laissant le foyer bien visible. Mais comme l'ouverture est en partie supérieure, le foyer ne reçoit pas d'oxygène, ou en tout cas, très peu. Les flammes sont donc visibles et rouges orangées.
Le problème se pose différemment dans un caisson ventilé par les portes. Il devient alors possible d'apporter de l'air au foyer, ou de supprimer cet apport d'air, tout en conservant un plafond de fumée extrêmement bas. En effet, l'ouverture de la partie inférieure d'une porte va apporter de l'air frais, mais le plafond de fumée restera bloqué au plafond. On découvre alors un détail, plutôt gênant : nous connaissons l'opacité comme l'un des dangers de la fumée. Opaque à la vue, opaque à l'ouïe. Mais il faut ajouter " perturbant pour les couleurs " !
Tant que la masse de fumée n'est pas trop importante, il est possible de voir à la fois le foyer sous la fumée et les flammes dans celle-ci. Nous obtenons alors une image sur laquelle la différence de couleur est flagrante.
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Feu dans un caisson 20' d'observation. Le feu s'est déployé depuis peu de temps, la masse de fumée est donc encore faible. Il est encore possible de regarder sous la fumée et de voir en même temps le foyer (sous la fumée) et les autres flammes (dans la fumée).
La première réflexion face à une telle vision, c'est de se dire que sous la fumée, le feu est bien oxygéné, mais que dans les fumées, il l'est moins. Pourquoi pas, mais la limite est quand même parfaitement nette, ce qui est quand même un peu étonnant?
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Une fois le plafond de fumée bien en place, il devient quasi-impossible de voir les flammes dans la fumée. Nous obtenons alors une vision telle que celle-ci.
Le foyer reste présent en partie inférieure. Les flammes sont encore oxygénées donc jaunes. Impossible de déterminer la couleur des flammes dans la fumée car celle-ci est trop opaque pour permettre de voir quelque chose au travers.
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Maintenant, il reste une possibilité : se redresser, et regarder les flammes en ayant la tête dans la fumée. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais réussi à faire de photo correcte de cette situation, l'appareil photo n'aimant pas particulièrement la chaleur des fumées? Mais ce que nous avons vu est plutôt gênant : en regardant les flammes qui sont effectivement dans la fumée, nous les voyons rouges orangées, ce qui est normal (du moins à priori). Mais lorsque nous regardons vers le bas, donc que nous regardons le foyer qui lui n'est pas dans la fumée, nous le voyons également rouge orangé !
Les flammes apparaissent donc orangées dans deux cas :
- Soit parce que le feu est sous-oxygéné et qu'on le regarde sans que notre vision ne traverse la fumée
- Soit parce que le feu est correctement oxygéné, mais que les flammes (jaunes) nous apparaissent oranges car nous les regardons au travers de la fumée.
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Avec la tête dans les fumées, le sapeur-pompier va voir les flammes rouges, qu'elles soient dans les fumées ou en dessous. |
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Avec la tête sous les fumées, le sapeur-pompier va voir les flammes jaunes ou rouges, suivant qu'il les verra au travers des fumées (flammes du haut), ou directement (flammes du bas).
Mais dans la majorité des cas, l'opacité de la fumée l'empéchera de voir les flammes situées en partie supérieure.
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La fumée agit donc comme un filtre, qui va " bloquer " certaines longueurs d'onde de la lumière. En les bloquant totalement, la fumée devient opaque et limite totalement la visibilité. Mais avant d'atteindre cette opacité totale, la fumée agit déjà comme un filtre et perturbe donc les couleurs. Outre le fait que cela complique sérieusement la détection de la couleur des flammes, il est possible d'imaginer que cela participe grandement à la perte de repère dans un local. Il serait intéressant de voir comment apparaît un panneau bleu, un panneau jaune etc? car si le propriétaire des lieux indique au secours que la porte du fond est peinte en jaune, encore faut-il que cette couleur apparaissent telle quelle au travers de la fumée.
En tout cas, il convient d'être très vigilant et de toujours prendre en compte la manière dont on regarde les flammes, afin d'en déterminer la vraie couleur.
Voir les roll-over
Nous apprenons que dans une situation pré-flashover, il va y avoir des roll-over. Les explications théoriques sont assez précises, mais laissent toujours quelques doutes. Par contre, il suffit de voir une seule fois dans sa vie de vrais roll-over pour s'en souvenir car une telle mer de flammes ne laisse pas indifférent.
Après avoir montré un tel phénomène à un sapeur-pompier, les formateurs peuvent penser que cela évitera pas mal d'accidents : dès qu'il verra apparaître ce genre de signe, il saura que la fuite est impérative. Idéalement, le sapeur-pompier devra être à l'écoute et être attentif aux autres signes, pour ne pas attendre de voir les roll-over pour réagir, mais en tout cas, la vision des roll-over et un des points importants des formations.
Mais en formation, il y a le problème de la sécurité et de l'apparition des phénomènes. Les roll-over sont produits par l'inflammation des fumées chaudes. Les perturbations provoquées par la chaleur, provoquent des turbulences et donnent cet effet de rouleaux, un peu comme des vagues qui roulent sur elles-mêmes.
Or, pour avoir ces roll-over, il faut des fumées très chaudes. Et il est logique que plus le plafond de fumée va être épais, plus il sera difficile d'atteindre cette température. Les formateurs vont donc relever le plafond de fumée, afin de n'avoir (par exemple) que 30 ou 40 cm de fumée. Les roll-over vont alors apparaître aux yeux de tous. De plus, les caissons étant équipés d'une plaque verticale entre la zone de feu et les observateurs, les roll-over vont " taper " sur cette plaque et rester bloqués, évitant ainsi de passer au dessus des observateurs. Et de toutes façons, si les roll-over passent au dessus de leurs têtes, ce ne sera qu'à 50cm de plafond donc à une hauteur qui laisse une marge de sécurité.
Malheureusement la réalité est tout autre : dans une intervention, le plafond de fumée peut-être très épais. Cela peut venir d'une épaisseur " classique " c'est-à-dire d'un plafond plat, contre lequel cogne une hauteur de fumée d'1,50m par exemple. Mais cela peut également venir d'une forme de plafond particulière : par exemple une mezzanine, ou bien un plafond sous toit, donc avec une hauteur importante au centre
Dans ce cas, les rool-over, collé au plafond, ne seront pas visibles.
Nous avons " expérimenté " ce phénomène lors de la visite du personnel du SDIS-49. Avec une stratification de fumée à 1,20m du sol (donc environ 1,20 m de fumée), nous ne pouvions absolument pas voir le plafond. Et de plus, le foyer initial, donc situé sous les fumées, était quasiment éteint. Tout au plus des flammes d'un mètre de haut (elles n'atteignaient pas la fumée, située à 1,20 m du plancher).
Nous étions donc face à une vision assez étonnante : un feu mourrant, une stratification de fumée avec une grande opacité, et une chaleur environnante disproportionnée. En nous mettant debout, nous avons obtenu la réponse : sur une hauteur de 30 à 40 cm, le plafond était occupé par des roll-over, sur toute la largeur (2,40m-) et sur toute la longueur de la zone de feu (3 m).
Dans la réalité d'une intervention, le binôme ne verra donc pas les roll-over, ceux-ci lui étant cachés par la fumée. Ce n'est que lorsque ceux-ci envahiront la totalité de la fumée qu'ils deviendront visibles. Or à cet instant, par le principe de dilatation des gaz chauds (Loi de Charles), le plafond de fumée en feu tombera littéralement sur les intervenants.
Il semble donc qu'il soit nécessaire d'observer d'autres signes, ou de se relever pour tenter de voir dans la fumée. L'accélération du courant de convection, la très forte chaleur ambiante, l'ondulation lente du plafond de fumée et son opacité sont des signes forts d'une situation qui évolue à notre désavantage. En tout cas, toujours garder à l'esprit que nous sommes en présence de feu " 3D " occupant essentiellement le plafond, et que la présence ou l'absence d'un foyer en partie inférieur n'est absolument pas un signe fiable.
Conclusion
La vision est un des derniers sens utilisable sous ARI: l'odorat n'est plus utilisable et l'ouïe est perturbée par le bruit de la respitation. Et nous nous rendons compte maintenant que la vision n'est aussi fiable qu'il y parait! Ceci doit donc, à nouveau, nous inciter à la plus grande prudence.