Dans le premier article nous avons fait un tour d'horizon rapide de la
stratégie, de l'opératif et de la tactique. Nous avons vu qu'il nous
fallait déterminer non pas une action générale mais une suite d'actions
qui, en s'enchainant, vont se favoriser les unes les autres pour nous
permettre d'atteindre progressivement notre but final.
Classer
La difficulté face à un incendie, c'est généralement que la situation
semble complexe. On ne voit pas tout, on n'a pas toutes les informations
et ceci complique le choix des actions. La solution va consister à
découper le problème en éléments plus petits. Pour chaque élément nous
réaliserons une analyse des risques et des bénéfices. Nous pourrons alors
déterminer, pour chaque élément, la "rentabilité potentielle" d'une action
qui y serait menée. Il "suffira" ensuite de classer ces éléments en
fonction de cette rentabilité potentielle et de les traiter dans cet
ordre.
Mais pour cela, il nous faut d'abord découper le problème. Celui-ci étant
lié à un espace physique (le lieu de l'intervention), c'est par une
découpe du lieu que nous obtiendrons une découpe du problème.
Note:
le seul ouvrage que nous ayons trouvé, qui traite de la tactique de
façon simple et adaptée au niveau chef d'agrès incendie, c'est "le
combat des petites unités", du Colonel Gérin. N'étant plus édité depuis
longtemps, cet ouvrage est devenu difficile à trouver. Le principe de
découpe, d'analyse etc... dont il sera question ci-dessous, est
directement inspiré de cet ouvrage.
Le terrain
La première opération va consister à regarder, à avoir une vue d'ensemble
sur "le terrain". Il faut commencer par admettre que le terrain ne nous
dit rien de précis, il ne donne aucune information: il est neutre. Nous
pouvons répondre que le terrain nous donne des informations par exemple
que l'on peut, face à une maison, imaginer la fumée qui sort. Mais
justement, nous "imaginons". Face à un paysage de campagne, le chasseur
imaginera qu'il puisse y avoir des perdrix dans tel bosquet, le pécheur
imaginera les truites dans la rivière et le peintre imaginera venir
ici avec son chevalet. Nous allons tous imaginer des choses différentes,
face au même terrain. Mais le terrain en lui même ne dit rien du tout. Il
est donc neutre.
En terme d'exercice, il est bon de se promener sur le territoire
opérationnel, donc sur le terrain et de simplement regarder, afin
d'apprendre à non plus seulement "voir" mais bien à observer. Sans pour
autant en déduire quoi que ce soit, mais en sachant décrire de façon
simple et précise, ce qui est vu.
Les compartiments
Le terrain c'est donc l'ensemble géographique. C'est une zone trop grande
pour être analysée car elle recèle trop d'éléments.
Il est très intéressant de constater que les interventions peuvent se
classer en 2 groupes. En premier le groupe des interventions qui se
déroule sur un espace physique que l'on peut embrasser d'un seul regard et
en second les interventions qui se déroulent sur un espace physique dont
l'observation globale, à partir d'un point unique, est impossible. C'est
surtout ce second cas qui nous intéresse car c'est lui qui pose le plus de
difficultés.
Nous allons donc découper ce terrain en zones plus petites, appelées
"compartiments".
Un compartiment se défini d'une façon simple: c'est une zone sur laquelle,
à partir de chacun de ses points, il vous sera possible de voir tous les
autres points. Concrètement, vous devez pouvoir vous mettre n'importe où
sur un compartiment et voir à chaque fois 100% du compartiment sur
lequel vous êtes.
Observons les images ci-dessous. Sur la première nous avons déterminé,
autour de l'habitation, plusieurs compartiments. Nous constatons qu'à
partir de 100% des points de chaque compartiment, nous avons la vision de 100%
des points de ce même compartiment. Nous avons là des compartiments bien
délimités.
Sur la seconde image, nous avons placé un compartiment en rouge. Pourquoi?
Parce que ce n'est pas un bon compartiment. En effet, à partir du point
A, qui appartient à ce compartiment, nous ne pouvons pas voir le point B
alors que celui-ci appartient pourtant au même compartiment que le point
A.
Pourquoi est-ce gênant? Parce que nous allons nous travailler compartiment
par compartiment et que nous allons déléguer l'action à notre personnel,
compartiment par compartiment. Dans un compartiment, nous allons donc
avoir une seule action menée par un groupe réduit. Si, pour les besoins de
son action, ce groupe réduit se déplace au point A, il ne pourra plus
surveiller le point B sur lequel un événement imprévu pourra se produire, se
développer et mettre en péril toute l'organisation sans que notre équipe
ne puisse s'en rendre compte à temps.
La découpe en compartiments (sous entendu en compartiments corrects!) est
donc très importante.
Pour s'entraîner, il ne faut pas commencer sur le terrain. Prenez plutôt
des plans de maisons ou d'entreprises et exercez vous à y dessiner les
compartiments. Voir par exemple
http://www.maison.com/plan-de-maison/. Si vous donnez cours, une solution
simple consiste à imprimer ces plans en autant d'exemplaires que vous
pensez avoir d'élèves. A chaque élève, distribuez le premier plan (afin
que tout le monde ait le même) et distribuez aussi une feuille plastique
et des crayons effaçables. Demander ensuite à vos élèves de dessiner les
compartiments, sur la feuille plastique avec le plan en dessous. La
correction sera faite par un des élèves, au tableau avec un
vidéo-projecteur qui projète le plan sur un tableau blanc, ce qui
permettra d'écrire dessus.
Une fois la correction achevée, faite effacer les feuilles plastiques,
distribuez le second plan et recommencez.
Ce genre d'exercice est facile à faire et permet d'appréhender le
problème.
Dans un second temps, vous pourrez compliquer en proposant non plus
des plans vus de dessus, mais des représentation 3D des maisons. Il vous
suffit de taper "maison 3D" sous Google image pour avoir le choix. A
partir de ces vues 3D, les élèves devront dessiner rapidement le plan 2D
(donc vu de dessus) et y placer les compartiments.
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Ce
second exercice va avoir 2 résultats. En premier, il va permettre
aux élèves de voir les choses sous un autre angle et cela va
faciliter leur approche terrain. Ensuite, ils vont inévitablement
se rendre compte qu'à partir de certains vues 3D (voir la photo de
la villa avec piscine par exemple), il est matériellement
impossible de dessiner le plan 2D car la vue 3D masque des façades
de l'habitation. Loin d'être un problème, ceci est plutôt d'un
gros intérêt pédagogique car cela vous permettra de démontrer
l'absolue nécessité d'une reconnaissance complète de l'habitation
afin d'en voir les différentes faces: sans reconnaissance
complète, pas de plan 2D et sans plan 2D, pas de compartiments! |
Enfin, dernière étape, celle consistant à se rendre sur le terrain,
d'abord face à des habitations simples, pour demander aux élèves d'en
faire rapidement le plan 2D et d'y placer les compartiments. Il faut pour
cela des petites planchettes de bois, des crayons et des feuilles
quadrillées. Vous pourrez ensuite passez à des habitations plus complexes.
Notons que le but n'est pas de faire un joli dessin mais de faire un
croquis, utile. Utile pour ensuite déterminer les zones de dangers et
d'actions, mais également très utile pour communiquer avec le personnel en
lui montrant sur le schéma où il doit se placer afin de réaliser son
action.
Remarque:
sur un même terrain, le découpage des compartiments peut varier en
fonction des conditions. De nuit par exemple, les compartiments sont
plus petits puisque nos possibilités de vision sont plus faibles et que
la taille de nos compartiments dépend de notre capacité à en voir les
éléments.
Le feu
Une fois que nous saurons déterminer facilement et rapidement nos
compartiments, nous pourrons y placer "le feu". En fait de feu, nous
parlons ici du "feu" en terme militaire. Le feu, c'est le feu que l'on
reçoit (donc les obus qu'on se prend sur la figure) et le feu que l'on
produit (donc les obus qu'on envoi).
Il y a a deux choses:
- Une qualité de feu subit. C'est-à-dire une définition du niveau de
danger, de souffrance que nous allons endurer à cause des éléments qui
sont contre nous. Si l'ennemi a une grande facilité à nous envoyer des
obus, notre niveau de souffrance sera élevé. A l'inverse, s'il n'a pas
cette facilité, notre niveau de souffrance sera faible. En
incendie, nous pourrons déterminer ce niveau de danger en fonction de
multiples paramètres: risque d'écroulement d'un mur, zone fortement
encombrée donc avec progression difficile (ordures, broussailles...),
zone vers laquelle souffle un vent violent ce qui peut amener la
propagation du feu sur la zone, etc... Nous pouvons noter ce niveau
avec des signes "moins". Un seul signe moins indique que nous allons
potentiellement "peu souffrir", deux signes moins que nous allons un
peu plus souffrir etc... Nous pouvons également noter ce niveau avec
une valeur numérique négative, par exemple de 0 à -5.
- Une qualité de feu émis. C'est-à-dire une définition du niveau de
danger que nous faisons subir à l'autre. C'est notre facilité à
envoyer des obus, de façon efficace. En incendie, c'est la facilité
que nous aurons d'établir nos moyens et de les utiliser avec
efficacité. Nous pouvons noter ce niveau avec des signes "plus". Un
seul signe plus indiquant que notre effort pourra avoir un effet assez
faible, deux signes plus que cet effet sera plus élevé et ainsi de
suite. Nous pouvons également noter ce niveau avec une valeur
positive, de 0 à +5 par exemple.
Le contact
Le mélange des définitions de compartiments et de nos définitions de feux,
donc le mélange d'une définition de lieu et d'une définition d'action
(subie ou réalisée) va donner ce que nous appelons le "contact".
En prenant un compartiment et en regardant les points positifs et les
points négatifs, nous allons déterminer le niveau de "contact" de ce
compartiment.
Militairement, le principe est simple à comprendre: un compartiment sur
lequel l'ennemi a toute les facilités pour nous envoyer des obus (-5 pour
nous car nous subissons beaucoup) et sur lequel nous avons de grandes
difficulté pour lui envoyer les notre (+1 pour nous car nous avons du mal
à réaliser notre action), est un compartiment avec un contact très négatif
(-5 + 1 = -4) et nous devons rapidement nous en dégager. Un compartiment
où l'ennemi peut facilement envoyer des obus (-4 pour nous) et à partir
duquel nous pouvons également lui en envoyer assez facilement (+4 pour
nous) est un compartiment avec un contact moyen (-4 + 4 = 0). Il est assez
peu intéressant car aucun ne pourra faire la différence: nous allons
passer notre temps à tirer et à subir, sans que la situation n'évolue.
Un compartiment sur lequel l'ennemi aura du mal à tirer (-1 pour nous car
il ne peut pas nous faire très mal), mais à partir duquel nos moyens nous
permettront une action efficace (+5 pour nous), sera un compartiment avec
un contact très positif (-1 + 5 = +4). Nous devrons donc y rester et agir
avec force (concentration des efforts).
En matière incendie, une fois que nous aurons déterminé nos compartiments,
il nous suffira de placer, sur chaque compartiment, des "moins" en
plus ou moins grand nombre (ou une valeur négative) afin de déterminer les
points négatifs du contact (risque à rester à cet endroit) et d'y placer
également des "plus" en plus ou moins grand nombre pour noter les aspect
"positifs" de ce contact (capacité à y agir efficacement). Il suffira
ensuite d'un simple coup d'oeil, de comparer le nombre de "-" avec le
nombre de "+" de chaque contact ou de faire le calcul entre les valeurs
positives et négatives afin de pouvoir déterminer le niveau de contact de
chaque compartiment.
Pour faciliter le calcul, nous pouvons détailler un peu plus: il suffit de
regarder le compartiment et le feu et, pour chaque détail de mettre des +
ou des -. Le terrain est facilement accessible pour se déplacer
facilement? On met un "+". On peut atteindre facilement le feu? on met un
"+". On pourra l'arroser efficacement avec de petits moyens? on met un "+"
etc... On réalise ensuite la même chose avec les moins. Dans ce cas, on ne
limite pas le nombre de + et de -, contrairement a une mesure de 0 à 5,
mais le principe reste le même. A vous de choisir ce que vous préférez, le
but étant simplement d'effectuer, sur une échelle comparable, la mesure
des points positifs et des points négatifs afin de déterminer le niveau de
contact.
L'évolution du contact
Il faut bien comprendre que le terrain est une donnée fixe, tout comme le
compartiment. Par contre, le feu et par la même le contact, sont des
données variables. D'un point de vue militaire, l'ennemi peut déplacer ses
moyens et commencer à rendre intenable un de nos compartiments qui,
quelques instants auparavant, était calme. Dans ce cas le nombre de "-" de
notre compartiment évoluera rapidement, rendant le contact très négatif et
nous obligeant à revoir notre action (qui passera de "prenons le temps de
manger" à "fuyons!!")
De même, nous pouvons très bien écraser totalement l'ennemi placé sur un
compartiment vers lequel nous avons une grande facilité de tir. Une fois
que nous aurons écrasé cet ennemi, c'est notre nombre de "+" qui
diminuera. En effet, puisque nous aurons écrasé l'ennemi, nous n'aurons
plus de bénéfice à continuer l'action. Notre contact restera positif (nous
aurons aussi fait baisser ses "-") mais ne sera plus intéressant pour la
suite des opérations. Il aura simplement permis de réaliser un Effet
Majeur, nous donnant maintenant un élément de plus pour passer au prochain
Effet Majeur, en changeant de compartiment.
En matière incendie, cette évolution est également facile à comprendre: le
vent a changé de direction et souffle en amenant le feu vers un
compartiment que nous avions considéré comme sûr. Ce contact devient donc
de plus en plus négatif. D'un autre côté, une attaque menée sur un
compartiment peut avoir été menée à bien en quelques secondes. Notre
contact perd donc de son intérêt puisque la mission y a été remplie avec
succés.
Les comptes-rendus
Cette évolution des contacts est liée aux actions menées et subies, mais
surtout aux comptes rendus. Si nous reprenons nos plans, nous voyons que
chaque compartiment est intégralement visible à partir de lui-même. Mais
si nous sommes souvent obligé d'avoir plusieurs compartiments, c'est bien
parce que sur notre terrain, il existe des points qui ne sont pas visibles
"de partout".
Donc:
- Les points d'un compartiment ne sont PAS tous visible à partir des
autres compartiments.
- L'analyse des contacts détermine le type et l'ordre des actions
- Le contact évolue au sein d'un compartiment donc sur une zone qui
n'est pas visible de partout
- L'évolution du contact (en positif ou en négatif) détermine le
changement dans le type et l'ordre des actions
Le chef devra donc déterminer les compartiments, déterminer le niveau de
contact et engager son personnel sur les compartiments les plus
favorables. Mais évidement, plus le nombre de compartiments sera élevé,
plus l'intervention sera difficile à gérer.
Compte tenu de la définition
des compartiments, ceux qui seront occupés par le personnel seront
surveillés par celui-ci (chaque point du compartiment étant visible à
partir des autres points du même compartiment). Mais le chef devra
donc se déplacer en quasi-permanence pour surveiller les autres
compartiments afin de voir si leur contact évolue (en positif ou
en négatif).
Afin que le chef puisse se concentrer seulement sur les
compartiments sur lesquels il n'a pas pu placer du personnel, il
faut qu'il puisse compter sur la qualité de la surveillance des
autres, mais surtout qu'il soit informé de ce qui s'y passe. D'où
l'extrême importance des comptes rendus.
Le poster ci-contre est utilisé pour les cours de commandement et
de tactique des Sapadores-Bombeiros du Brésil. Il permet
d'expliquer que rendre compte ne veut pas seulement dire "rendre
compte quand tout est fini". C'est aussi rendre compte du fait que
ça se passe bien, du fait que ça se passe mal ou du fait que la
situation n'évolue pas. |
|
A ce niveau, une vidéo postée sur Youtube et relative à un exercice
militaire avec engagement dans un village, a permis d'envisager un moyen
simple, relatif aux comptes rendus. Sur cette vidéo, le chef communique
par radio avec son état major. Il indique ce qu'il va faire, comment, avec
qui, mais surtout, il termine son message avec une estimation de temps
("Temps estimé, 10min"). Une fois l'action lancée, ce chef aura
certainement beaucoup de mal à compter le temps et si la situation se
dégrade, il se concentrera sur l'action, le temps passera et il risquera
alors de ne pas rendre compte. Or, ayant déclaré qu'il estimait son temps
d'action à 10min, il a transmis cette information a des personnes qui sont
hors du contexte de stress de l'action, qui ont donc toute la capacité à
regarder leur montre et donc, au bout de 11 ou 12min, à le rappeler pour
lui demander ce qui se passe.
Lorsque le chef d'agrès incendie aura déterminé ses compartiments et les
contacts, il pourra déterminer les actions et le personnel, montrer cela
sur son petit plan et indiquer l'heure à laquelle il estime que l'action
sera terminée. Le personnel sera alors engagé et mènera l'action demandée,
tandis que le chef surveillera les compartiments inoccupés.
Si les intervenants rendent compte, tout ira bien. S'ils ne rendent pas
compte, un coup d'oeil sur sa montre permettra au chef de remarquer que
cela fait par exemple 12min qu'il a donné une mission qui ne devait durer
que 10. Ayant placée cette durée et l'action sur son compartiment (donc
sur le schéma qu'il a fait), il saura où se diriger afin de demander ce
qui se passe et éventuellement réorganiser son dispositif en fonction de
l'évolution des contacts.
La prochaine fois nous étudierons quelques outils tactiques et nous
verrons comment donner des directives avant d'analyser la situation.