Après avoir compartimenté l'espace de
l'intervention, le chef peut répartir son personnel et donner des
objectifs. Voyons comment peut se faire cette répartition.
Choix des actions
Concernant le choix des actions, deux écoles s'affrontent. D'un côté
l'école américaine, qui consiste à prévoir à l'avance les actions qui
devront être menées. C'est le principe des SOP (Procédures d'Opérations
Standards), issu bien souvent de toutes une série de tests. On met le feu
à une maison, on regarde ce qu'il faudrait faire, on met le feu à une
seconde maison, on regarde ce qu'il faudrait faire etc... On y ajoute
quelques équations et on en déduit une liste d'actions qu'il suffirait de
suivre pour que tout se déroule "comme prévue".
Et effectivement, si les événements sont suffisamment dociles pour suivre
le déroulement prévu, tout se passe bien. Mais lorsque les événements s'en
écartent un peu, c'est la panique la plus complète. Ce principe de liste,
c'est celui d'un GPS qui ne serait pas capable de recalculer la route. A
n'utiliser que le GPS, vous ne savez plus lire une carte et le jour ou le
GPS ne peut plus vous aider, vous ne savez plus quoi faire.
Dans le principe Américain, le compartimentage n'existe pas, ou en tout
cas il n'existe pas pour le même usage.
Dans le cas qui nous intéresse, le compartimentage et le mode de pensée
qu'il impose, sont basés entre autre sur le fait qu'il ne s'agit pas de
donner des ordres stricts au personnel engagé dans un compartiment, mais
de lui donner une mission, sachant que les détails d'exécution de cette
mission seront choisis par l'exécutant lui-même et pas par son supérieur.
Ce principe relève du concept d'Effet Majeur utilisé dans l'Armée
Française ou de celui de l'Auftragstaktik chez les Allemands. Au lieu de
prévoir à l'avance des actions qu'il suffirait de réaliser et qui se
heurtent souvent à la réalité changeante du terrain, le chef va analyser
et construire son choix d'objectif, en temps réel.
Ce choix va se faire simplement: d'un côté il y a du personnel, formé,
donc sachant réaliser les techniques. D'un autre, des équipements que le
personnel va mettre en oeuvre. En face, une situation, évolutive. Entre
les deux, un résultat idéal. Tout le travail va consister, non pas à
tenter d'obtenir le résultat idéal, mais plutôt à obtenir l'Effet Majeur,
c'est à dire le meilleur résultat possible avec ce dont nous disposons.
Une fois cet Effet Majeur atteint, une nouvelle analyse permettra de
déterminer le second Effet Majeur. Cette second analyse prendra en compte
l'évolution, qu'elle soit positive (on a réussi à éteindre une partie du
foyer et à couper la propagation, etc...), ou négative (un des
intervenants a été blessé et ne peut plus agir efficacement, l'hydrant ne
débite plus etc...). D'Effet Majeur en Effet Majeur, le but final sera
atteint.
La difficulté consistant à déterminer un Effet Majeur face à la totalité
d'une intervention, est résolue par le biais du compartimentage: au lieu
de devoir analyser "tout d'un coup" et se sentir débordé par la complexité
qui va ressortir de cette analyse, le chef va déterminer les compartiments
donc découper le problème en éléments plus petits. Nous avons vu dans
l'article précédent que chaque compartiment était analysé afin d'y mettre
une valeur de danger (donc en quelque sorte un "coût") et une valeur de
réussite (donc un "bénéfice"). Plus le coût est faible et le bénéfice
élevé, plus l'effet obtenu sera bon. Sachant que le nombre de
compartiments sera sans doute toujours supérieur au nombre de binômes dont
nous disposerons, il y aura dans un premier temps sélection des
compartiments en fonction de l'intérêt d'y agir. Nous aurons un Effet
Majeur par compartiments, sauf que certains seront moins "majeurs" que
d'autres. Les actions seront donc entreprises dans les compartiments qui
en valent la peine.
Mais pour choisir, il faut prendre quelques précautions...
Connaître pour décider
Pour choisir, le chef doit connaître son personnel et les capacités
physiques de celui-ci. Demander un effort physique important à une
personne qui ne dispose pas de la capacité pour cela, va simplement
diminuer les chances de réussite de l'Effet Majeur espéré.
Le chef doit également connaître les compétences de son personnel. Sur ce
point, nous voyons l'importance de l'uniforme, des grades et de leurs
liens avec les formations. En effet, une fois l'objectif déterminé pour un
compartiment, le chef va désigner ceux qui vont gérer le compartiment afin
d'y mettre en oeuvre les actions prévues. Le simple fait d'avoir du
personnel en uniforme va permettre au chef de distinguer le sapeur-pompier
du volontaire de la croix-rouge ou du policier présents sur place. Il
suffit d'imaginer un court instant que personne n'ait d'uniforme pour
comprendre que la gestion serait totalement impossible. Or, si l'uniforme
permet au chef de déterminer si tel ou tel individu appartient au groupe,
cet uniforme ne donne aucune indication quant aux capacités de cet
individu.
Participer à une formation donne donc des connaissances, ces connaissances
sont accumulées, formation après formation, jusqu'au moment ou le système
organisationnel estime que cet ensemble de connaissance peut être utilisé.
Pour que cet ensemble de compétence soit utilisé, il faut que le chef
sache que l'individu possède ces connaissances et pour cela le système
appose une marque visible sur l'individu: le grade.
Comprendre ce principe et le lien entre le grade et le résultat des
opérations, amène forcément à admettre deux points:
Le grade ne peut pas servir de justification au salaire ou au poste "non
opérationnel" de l'individu et ne peut pas évoluer avec une soit-disant
ancienneté. Imaginons par exemple qu'au premier niveau de la hiérarchie on
apprenne à se servir d'une échelle et que l'apprentissage de l'usage d'une
lance ne se fasse qu'au second grade. Que l'intervenant reste 1 an ou 20
ans au premier grade, ne changera rien au fait qu'il ne saura se servir
que de l'échelle et pas de la lance. Si, par sympathie, le système estime
qu'après 10 ans de service, on peut se permettre d'offrir le second grade
sans en réaliser les formations, cela aboutira a avoir sur le terrain
(donc face au feu) des gens avec ce second grade et les connaissances
correspondantes (donc dans notre exemple, sachant se servir d'une échelle
et d'une lance) et d'autres qui auront le même second grade, mais
qui auront été nommés à l'ancienneté et qui n'auront pas les connaissances
(donc dans notre exemple, qui ne sauraient se servir que de l'échelle). Or
l'Effet Majeur est choisi avec un objectif de réussite: on ne rêve pas à
un résultat mais on choisit l'objectif afin qu'il soit atteint. Et ce
choix d'objectif est fait en fonction de ce que nous pouvons faire. Si le
grade ne correspondant pas à des compétences, il y a des chances que nous
engagions du personnel sur des actions qu'il ne saura pas réaliser,
mettant alors en péril tout l'opération.
Le second point concerne les formations "hors cadres". Lorsqu'un individu
va, en dehors du service, participer à une formation, il en rapporte une
satisfaction personnelle, des connaissances "extra service" qui pour
quelqu'un qui est passionné, sont toujours intéressantes. Mais de retour
dans sa caserne, il constate dans pratiquement 100% des cas, qu'on ne lui
fait pas confiance et qu'on ne tiens pas compte de ce qu'il a appris. D'un
point de vue personnel, c'est décevant. Mais d'un point de vue
opérationnel, c'est normal. En effet, aucun élément, ni uniforme, ni
grade, ne permet de distinguer celui qui a simplement suivi le cursus de
son service de celui qui a fait 5.000km en avion pour suivre un stage dans
un pays étranger. De plus, l'organisation dans son ensemble est basée sur
des capacité d'équipes et du matériel, liés à des compétences acquises
durant des formations délivrées à tout le monde (principe des formations
de tronc commun).
En exagérant à peine, on peut dire que celui qui aurait été, seul, au
Japon, faire un super stage de désincarcération et aussi intéressant pour
son service incendie que celui qui aurait été faire un stage de poterie au
Cameroun.
On pourrait donner un signe distinctif à cet individu? Pourquoi pas mais
cela ne ferait qu'accroitre la confusion. Au Brésil par exemple, à chaque
fois qu'un individu fait un cours, il arbore fièrement un emblème sur son
uniforme. Certains uniformes sont de véritables panneaux d'affichages et
les chefs, ne connaissant pas la moitié des jolis blasons, ne donnent pas
plus de directives à ces individus qu'aux autres. Mais il y a plus gênant:
à partir du moment ou le service laisse l'individu arborer son emblème,
celui-ci pense que ses compétences sont "reconnues". Le résultat c'est que
ces individus se mettent alors à utiliser ce qu'ils ont appris en cours,
de façon solitaire et les interventions tournent rapidement au chaos car
au lieu d'avoir une équipe soudée autour d'un projet commun, nous
observons des individus, bricolant chacun pour soit, pour un résultat
général de piètre niveau.
La visibilité des grades
Le fait d'avoir des grades est une chose mais encore faut-il les
reconnaitre et pour cela, il faut les voir.
En terme de nombre, il conviendrait idéalement de limiter le nombre de
grades. De ce point de vue, les Sapadores-Bombeiros du Brésil ne possède
que 4 grades. Le Sapador 1er Gallon a participé à un ensemble de
formations incendie et secourisme, lui permettant de travailler en binôme
avec un Sapador 2éme Gallon. Le Sous-Chef a la capacité de commander un
véhicule de tout type, sauf de lutte contre les incendies. Le Chef a la
capacité de commander un véhicule de n'importe quel type, donc y compris
de lutte contre les incendies.
Les grades de Sapador 1er et 2 Gallon sont rouges sur fond noir. Le grade
de Sous-Chef est argent tandis que le grade deCchef est jaune.
Visuellement, les niveaux sont donc faciles à distinguer.
Au niveau de l'emplacement la majorité des services placent le grade sur
la poitrine. C'est le cas en France, en Belgique etc... Généralement,
c'est l'incendie qui pose le plus de problème. Dans le cas de vestes de
feu en dotation collective, il n'y pas de grade. En dotation individuelle,
on constate que dans de nombreux cas le grade est également absent. Le
port de l'ARI et le fait que souvent la veste de feu ait de nombreux plis,
font que le grade de poitrine est souvent difficile à distinguer (ou bien
qu'on ne le met pas). Le système Français consistant à avoir une bande
orange, jaune ou grise sur le casque est intéressant sauf qu'avec
l'apparition des casques de couleur, le contraste visuel de ces bandes
n'est plus suffisant. On peut évidement fournir des casques de couleurs
différentes suivant les grades, mais cela complique les dotations.
Il y a encore à chercher dans cette directions.
Conclusions
Connaître son personnel, savoir reconnaitre rapidement les grades afin de
déterminer les compétences, sont des points important pour déterminer les
actions à mener. La connaissance du matériel, les capacités de celui-ci et
le suivi (entretient) sont également des points important. Avec du
personnel entraîné, dont on connait les capacité et du matériel dont on
connait aussi les capacité, on disposera des éléments permettant de
choisir l'action idéale, donc l'Effet Majeur.
Notons, pour terminer, un détail: il n'est pas question ici d'avoir des
sur-hommes, hyper entrainés ou de dépenser des millions pour avoir l'outil
le plus merveilleux du monde. Ce qui importe c'est de "savoir". En fait,
il faut mieux avoir un sapeur-pompier capable de lever seulement 30kg et
le savoir que d'avoir un sapeur-pompier super musclé et ne pas savoir ce
qu'il peut soulever.
La prochaine fois, nous verront comment donner des directives, avant
d'analyser les compartiments, afin de nous laisser le temps de les
analyser.