Article: Analyse d'accident
Transmis le 28 juillet 2015 à 13:28:03 (16750 lectures)
Dans le premier article intitulé "Pédalons-nous dans la bonne direction", nous avons cherché à confronter le mode de formation aux phénomènes thermique tel qu'il est mis en place en Europe, avec les besoins de formation de masse. Si le mode de présentation des phénomènes thermiques s'avère assez inappropriée dans la forme, nous pouvons espérer néanmoins que cette présentation soit appropriée sur le fond.
Blaina...
L'accident de Blaina a déjà été étudié sur flashover.fr et fait l'objet
d'un kit d'exercice disponible dans la zone de téléchargement. La
situation est simple: une petite maison avec un étage. Le feu se déclare
au rez-de-chaussée, dans la cuisine, qui est à l'arrière de la maison. Le
véhicule incendie qui se présente dispose de 2 binômes, d'un chef et d'un
conducteur. Les témoins affirmant que deux enfants se trouvent à l'étage,
l'action est divisée entre les deux binômes. Le premier, équipé d'une
booster line (lance sur dévidoir, équivalent britannique de la LDT
Française ou de la HP Belge), monte à l'étage pour chercher les enfants.
N'arrivant pas à monter avec la lance, les sapeurs-pompiers laissent
celle-ci en bas de l'escalier. Pendant ce temps, le second binôme, équipé
lui aussi d'une booster line (le véhicule possède deux booster-lines) a
pour mission de contourner la maison par la jardin et d'attaquer le feu
par la fenêtre de la cuisine, dont les témoins ont indiqué qu'elle avait
cédé avant l'arrivée des secours.
Le premier binôme, arrivé en haut, trouve un enfant. Celui-ci est descendu
par ce binôme, qui remonte immédiatement chercher le second.
A ce stade, nous notons trois points:
- si le binôme était monté avec une lance, il aurait mis plus de temps
que sans.
- si le binôme était monté avec une lance, il l'aurait certainement
laissé en haut pour descendre rapidement avec l'enfant. La
seconde montée aurait donc été faite sans lance.
- le fait d'avoir trouvé l'enfant est un élément en faveur de la
crédibilité des témoins. Or l'enquête démontera qu'il n'y avait qu'un
enfant et pas deux.
Le rez-de-chaussée communiquant avec l'étage par l'escalier, l'étage est
totalement enfumé. A un certain moment, alors que le binôme est en train
de chercher le second enfant, les fumées de l'étage prennent feu. Les deux
sapeurs-pompiers décèdent, brulés vifs. Aucune explication certaine n'a
été donnée quant à la manière dont ces fumées ont pris feu. Trois
hypothèses ont été retenues:
- Le feu est passé au travers du plafond de la cuisine et l'étage, déjà
surchauffé, a pris feu
- Les fumées de l'étage se sont auto-enflammées
- Le feu s'est propagé en bas, par le couloir jusqu'à l'escalier. Là il
a mis le feu aux fumées de l'étage.
La solution?
Pour qui se passionne pour les phénomènes thermiques, LA réponse semble
assez évidente. Il fallait monter avec une lance et refroidir les gaz. Et
puis comme la booster-line ne dispose que d'un petit débit, afin d'assurer
la sécurité, il fallait plutôt monter avec une lance permettant de
disposer le cas échéant d'un gros débit, donc une lance de 45 par exemple.
C'est oublier un peu vite l'étroitesse et la raideur de l'escalier, le
poids d'un tuyau de 45 en eau et le fait que les témoins affirmant la
présence de l'enfant, il y avait nécessité de rapidité. De plus,
l'accident ne s'est pas produit à la première montée mais à la seconde. Et
avec une lance de 45 il est quasiment certain que celle-ci aurait été
laissée en haut. Ou en tout cas, si le binôme était redescendu avec, il ne
serait certainement pas remonté avec cette lance à cause de la fatigue. Le
refroidissement à la première montée n'aurait pas servi à grand chose car
avec le temps nécessaire pour descendre puis le temps pour remonter les
gaz avaient largement le temps de remonter en température. Il suffit de
voir dans un caisson à quelle vitesse se ré-enflamment les gaz que l'on
vient de refroidir pour comprendre que ce n'est pas en refroidissant à
l'instant T que ce refroidissement durera jusqu'à T + 1 minute.
De plus, l'étage est composé de plusieurs pièces. Il est donc difficile de
refroidir les gaz de toutes les pièces et nul ne sait à quel endroit les
gaz ont pris feu.
La solution à laquelle on aboutit en se fixant sur l'étude des phénomènes
thermique, hors opérations donc au tableau ou en caisson, est donc assez
facile à remettre en cause.
Le détail...
Surtout, à avoir opté pour un point de vue cherchant non pas à trouver une
solution mais plutôt à valider notre intérêt pour les phénomènes
thermiques ("vous voyez que c'est
important il faut donc donner des cours et faire des équations"),
nous avons oublié un détail. Quid du second binôme? Que devait-il faire?
Rien de bien compliqué: contourner la maison, se mettre à 3m de la fenêtre
de la cuisine et envoyer de l'eau avec un jet de n'importe quelle forme.
Un bon coup de jet bâton ou un peu diffusé pendant quelques secondes par
exemple. Et qu'est ce que cela aurait donné? Le feu aurait été éteint en
quelques instants, ne serait pas passé à l'étage, n'aurait pas favorisé
l'inflammation des gaz et les deux sapeurs-pompiers seraient encore en
vie.
Mais alors, que s'est-il passé? la booster-line est une lance sur
dévidoir, comme la LDT Française et la HP Belge. C'est donc une lance
facile à mettre en place sur quelques mètres, en ligne droite. Mais là, il
fallait faire plusieurs dizaines de mètres dans le jardin avec les
arbustes, les jouets des enfants etc... Le tuyau s'est donc rapidement
coincé. Et naturellement, lorsque c'est coincé, on force et les témoins
sont venus aider à tirer. Tout le monde a tiré de plus en plus fort,
coinçant de plus le plus le tuyau. Le second binôme est donc resté coincé
dans le jardin, n'a jamais atteint la fenêtre de la cuisine et n'a donc
rien éteint du tout...
Analyse des solution
- Soit nous montons avec une lance, soit nous montons sans lance.
- Soit nous attaquons par la fenêtre de la cuisine, soit nous
refroidissons les gaz par l'intérieur.
Soyons logique: en terme de facilité, c'est la montée avec la lance qui
pose le plus de problème. Et en terme d'efficacité, c'est l'attaque par la
fenêtre de la cuisine qui donne potentiellement le meilleur résultat.
En clair, le problème se résout en attaquant le feu par la fenêtre de la
cuisine: c'est ce qui est le plus facile et le plus rentable.
La résolution du problème de Blaina se fait donc par abandon des lances
sur dévidoirs et l'usage de tuyaux en écheveaux par exemple. La solution
optimale n'est donc pas liée à une connaissance des phénomènes thermiques.
Note:
dans le cas d'une approche Tactique (dont nous verrons l'application
dans quelques articles), les Sapadores-Bombeiros du Brésil utilisent le
concept de Compartiment, que l'on trouve décrit dans l'ouvrage "Le
combat des petites unités" du Colonel Gérin. Ce concept vise à délimiter
des zones d'une façon assez particulière, puis à placer sur chaque zone
(dénommée compartiment) une valeur de danger et une valeur d'efficacité.
Pour un militaire, le danger peut être la quantité d'obus qui tombe dans
la zone et l'efficacité peut être la quantité d'obus que lui pourra
envoyer à partir de ce compartiment. A partir de ces données, le
compartiment de présence et d'action, est choisi. Si nous appliquons ce
cas à Blaina, il devient évident que le compartiment le moins dangereux
et dans lequel l'action sera la plus efficace, c'est bien la zone devant
la fenêtre de la cuisine et certainement pas l'intérieur.
Où et quand?
Lorsque nous étudions Blaina, mais aussi Keokkuk, Neuilly, Watt Street,
etc... nous sommes toujours tenté d'y voir des problèmes liés aux
phénomènes thermique et donc de chercher des solutions dans ce domaine. Un
second exemple devraient nous permettre de prendre du recul. Cette
intervention a été racontée par un élève (celui qui a été brûlé durant
cette intervention) du cours flashover donné en Belgique, en 2007. Le
véhicule incendie arrive devant un petit magasin en feu. Au dessus se
trouve un petit appartement, accessible par l'autre face du bâtiment, via
un escalier. Une personne handicapée est dans cet appartement. Le chef
ordonne a son équipe d'établir et d'attaquer le feu, pendant qu'avec un
autre sapeur-pompier il contourne le batiment et monte à l'étage pour
effectuer le sauvetage de la personne handicapée. Cette personne est
descendue rapidement par l'escalier. Ce sauvetage étant largement plus
long que le temps d'établir et d'envoyer de l'eau sur le feu, le chef
remonte pour ventiler en ouvrant la fenêtre, pensant en toute logique que
le reste de l'équipe a réalisé son action. Alors qu'il est au centre de la
pièce le chef perçoit une faiblesse du plancher: celui-ci s'écroule et le
chef tombe, restant suspendu au dessus du foyer qui n'a pas été attaqué
car le personnel n'a pas réussi à enclencher la pompe.
Cet exemple, simple, comporte les mêmes particularité que Blaina. Et
pendant des années, ces particularités nous ont échappé:
- Celui qui est blessé, brulé ou tué n'est pratiquement jamais celui qui
commet la faute principale. A Blaina, la faute principale incombe au
second binôme mais c'est le premier qui décède. Sur le dernier exemple
c'est bien l'équipe d'attaque qui n'attaque pas et c'est le Chef qui est
brulé.
- La faute est très rarement commise au même endroit que l'accident et
ceux qui commettent "la faute" ne voient pas le lieu de l'accident ou en
tout cas n'ont pas conscience du lien. A Blaina le binôme "fautif" est
dans le jardin, le binôme brûlé est dans la maison, à l'étage. Pour le
feu du magasin, de l'emplacement normal de l'attaque on ne voit pas le
Chef qui est en train de se faire brûler les jambes.
- La faute est rarement le fait d'une mauvaise action sur les lieux de
l'accident mais plus souvent le résultat d'un enchaînement d'événements
se produisant (ou ne se produisant pas) bien avant l'intervention.
Ainsi, à Blaina, c'est tout le choix de l'usage de la booster-line, le
type d'achat d'équipement qui est la cause du décès du binôme. Dans
l'autre cas, c'est le manque de maintenance de la pompe, le manque
d'entraînement en caserne.
En fait, il n'y a pas franchement de lien avec l'apprentissage relatif aux
phénomènes thermiques.
Autre exemple...
En Janvier 2005, des sapeurs-pompiers New-Yorkais sont dans le quartier du
Bronx, au quatrième étage d'un immeuble, pour chercher des victimes. Une
autre équipe attaque le feu à l'étage inférieur. Mais le poteau gèle ou en
tout cas il y a forte baisse de pression et le feu ne peut plus être
attaqué, l'équipe d'attaque bat en retraite, le feu passe à l'étage, piège
l'équipe de sauvetage qui saute par la fenêtre. Bilan 2 morts. Là encore
la faute survient à un autre endroit que l'accident et cette "faute" est
le résultat d'un manque d'action préalable. Car en janvier à New York, la
température minimale moyenne est de -2,8 °C avec des baisses jusqu'au -10,
-15 ou -20. Le "gel" d'un hydrant ou d'un tuyau n'est donc pas étonnant et
tout devrait être préparé pour cela.
Le problème c'est qu'une nouvelle analyse de quasiment tous les accidents,
donne pratiquement toujours le même résultat. Si on commence par se dire
"la solution c'est l'étude des phénomènes" et ce avant même d'analyser, on
trouve bien évidement des éléments qui vont aller dans ce sens. Mais si on
recommence à analyser de façon plus large, c'est pour constater que cette
réponse n'est pas adaptée.
Conclusion
Les accidents et les maisons qui partent en fumée sont le résultat de
fautes, commises par des individus éloignés du lieu de l'accident ou dont
l'action ne semble pas avoir de lien avec l'accident. Et dans la majorité
des cas ces fautes viennent de défauts qui ont été "créés" bien avant
l'accident.
Or ceci augmente fortement la difficulté d'analyse et d'amélioration. Car
rejeter la "faute" sur ceux qui sont morts est une solution de facilité.
Mais dans le cas de Blaina, par exemple, arriver à la conclusion que c'est
le second binôme qui est "fautif" amène à se poser des questions sur la
responsabilité pénale de ce binôme. Et si l'on pousse plus loin le
raisonnement, nous arrivons à des questions sur les achats d'équipement de
type booster-line. Il est donc plus simple de penser que ceux qui sont
morts sont les fautifs de leur propre accident et qu'avec un peu de
formation, tout s'arrangera. Sauf que nous commençons à voir que ce n'est
qu'une illusion.
Car dans l'ensemble, nous sommes sur des formations individualistes,
tandis que les problèmes sont liés aux difficultés de synchronisation des
éléments du groupe.
|